C'est à l'Anse Bellay, située dans la partie sud de la baie de Fort-de-France, en face de l'Îlet à Ramiers, qu'ont été fortuitement découverts des ossements humains, mis au jour par l'érosion marine. Ceux-ci sont associés à du mobilier précolombien, en particulier un pied de platine en poterie attribué au néo-indien récent (XIe-XIVe siècle de notre ère).

Dernière modification
14 février 2020

L'intervention archéologique, une prestation de l'Inrap pour la direction des Affaires culturelles (Dac) de la Martinique, a consisté à fouiller une bande d'un mètre de largeur, parallèle au rivage, afin de permettre la mise en place d'une protection physique de la berge par le Conservatoire du littoral. Ces investigations ont permis de préciser la chronologie et la fonction de l'espace funéraire découvert. C'est un cimetière d'époque coloniale au statut à déterminer : il pourrait s'agir d'un cimetière d'esclaves.  

Organisation de l'espace funéraire

Les 20 m² fouillés ont permis de mettre au jour 19 sépultures. Cette densité est relativement importante, mais tout à fait en accord avec les densités des cimetières contemporains déjà fouillés. Aucun marqueur de surface préservé n'a été identifié. Il s'agit de sépultures primaires simples. Les individus sont inhumés sur le dos, chacun dans une fosse, les membres inférieurs en extension. L'orientation préférentielle est est-ouest, avec la tête à l'ouest, mais deux individus sont inhumés tête au sud, et un, tête au nord. Plusieurs recoupements ont été observés. Lors du creusement d'une tombe, le fossoyeur peut perturber un individu déjà inhumé. Ses restes sont alors prélevés et redéposés dans la fosse de la nouvelle tombe. C'est une pratique courante, toujours en cours aujourd'hui. Le premier individu étant déjà décomposé au moment de sa perturbation, ce geste suppose une durée d'utilisation relativement importante de l'espace sépulcral. De ce fait, l'Anse Bellay n'est pas un cimetière de catastrophe (épidémie, naufrage, bataille...) où les individus sont inhumés dans un temps relativement court. De plus, s'il n'est pas fortuit, ce recoupement peu également indiquer la volonté de rapprocher deux individus. Il implique alors la connaissance de l'identité et du lieu d'inhumation des défunts. 

La population inhumée

La population mise au jour comprend des adultes, jeunes et âgés, des deux sexes, des adolescents et un jeune enfant. Il est fort peu probable que ce cimetière soit celui de militaires, en relation avec le fort de l'Îlet à Ramiers. En effet, elle aurait alors principalement été constituée de jeunes adultes de sexe masculin. Enfin, une incisive supérieure taillée en pointe a été découverte. Il est communément admis que les individus présentant des dents taillées soient nés en Afrique et aient été déportés comme esclaves - « nègres de guinées » - aux Amériques. Par ailleurs, un autre individu présente une usure particulière de ses dents, caractéristique de l'usage de la pipe dite « hollandaise », abondamment retrouvée lors des fouilles archéologiques de sites d'époque coloniale, utilisé par les libres comme par les esclaves.  

Pratiques funéraires

Aucun mobilier associé aux défunts, tel que boutons, agrafes, épingle, médailles ou chapelets, n'a été découvert. L'usage du cercueil n'a pas été établi. Les morts étaient très certainement enterrés dans leur plus simple appareil, dans des linceuls, comme l'indiquent quelques indices taphonomiques au niveau des pieds de trois individus. Ce sont des pratiques funéraires catholiques, communes à l'époque coloniale. 

Le contexte géographique et historique

La localisation du site est remarquable. Il est situé à la limite des paroisses des Anses-d'Arlet (5,5 km) et des Trois-Îlets (4,5 km). Il est éloigné des édifices religieux tels que chapelles et églises, auxquels sont souvent associées des sépultures, dont les cimetières de ces deux paroisses. Cependant, les sources historiques montrent que le secteur est investit par les colons dès le XVIIIe siècle. L'Anse Bellay ne présente cependant que peu d'intérêt dans l'économie de plantation, le cimetière des esclaves peut donc y être relégué. D'autant que le bord de mer correspond également aux 50 pas du Roy. 

L'identification de l'extension de l'espace sépulcral, en particulier vers le sud, n'était pas l'objet de cette opération. La qualité de conservation du matériel osseux, malgré un encaissant volcanique, est très bonne. Cette conservation laisse espérer de bons résultats pour des analyses complémentaires telles que les études isotopiques et génétiques déjà engagées sur d'autres cimetières, notamment en Guadeloupe, et qui pourraient permettre de mieux caractériser la population inhumée. La surface fouillée et le nombre réduit de sépultures fouillées imposent de demeurer très prudent quand à l'attribution de son statut. Néanmoins, plusieurs indices convergent vers l'hypothèse d'un cimetière d'esclaves : localisation et organisation du cimetière, pratiques funéraires, population. 

Une sépulture amérindienne

Une sépulture amérindienne a également été mise au jour sous les sépultures d'époque coloniale qui recoupent le sommet de son creusement. Elle diffère très nettement de celles-ci par les pratiques funéraires. L'individu est inhumé en position semi-assise, les membres inférieurs repliés, les genoux vers le haut, dans une fosse ovale de 90 cm par 70 cm. La position générale du cadavre, ainsi que le déplacement de certains éléments, impliquent un contenant en matière périssable qui pourrait être un hamac ou un panier. Le déplacement du crâne et de la mandibule a, quand à lui, très certainement une origine anthropique. Il est très probable que les Amérindiens les aient prélevés alors que la décomposition était bien avancée, puis les aient redéposés dans la sépulture. Aucun mobilier associé au défunt n'est conservé. C'est un adulte de plus de 30 ans, robuste, de sexe masculin. 

Les éléments précolombiens mis au jour au cours de cette intervention ont tous été découverts en position secondaire dans le remplissage des tombes d'époque coloniale. Il s'agit principalement d'éléments en céramique et de quelques objets lithiques. Le niveau de l'occupation amérindienne, sur l'emprise de cette opération, a été complètement arasé par le creusement des fosses sépulcrales. Seule reste la sépulture amérindienne, située juste sous ces creusements. Sa présence suggère un habitat proche, peut être conservé à l'extérieur du cimetière. 

La découverte d'installations funéraires des périodes amérindiennes et coloniale, inédites et particulièrement bien conservées, associées aux résultats de ces premières investigations, donne un nouvel attrait archéologique et patrimonial à ce secteur peu exploré de la baie de Fort-de-France.

La poursuite envisagée de cette opération permettra de préciser d'une part la topographie du cimetière de la période coloniale, extension et stratigraphie, et d'autre part sa chronologie. Elle permettra également de tenter de le rattacher aux éléments repérés dans la documentation historique, habitations et constructions environnantes. Ses vestiges méritent beaucoup d'attention. D'autant qu'ils sont fragiles et qu'une bonne partie a déjà été détruite par l'érosion marine.