La commune de Saint-Martin-du-Mont est située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Dijon. Avant la construction de deux maisons particulières, dans le hameau de Cestres, au lieu-dit « La vie aux Maires », une équipe de l'Inrap fouille actuellement, sur prescription de l'État (Drac Bourgogne), un habitat médiéval de la seconde moitié du XIVe siècle, brutalement abandonné au début du XVe siècle.

Dernière modification
10 mai 2016

Les fouilles révèlent un grand bâtiment en pierre, à toiture en laves, des lauzes calcaires caractéristiques de l'habitat vernaculaire des plateaux bourguignons. L'ensemble semble se développer à partir d'un bâtiment rectangulaire d'au moins 19 m sur 8. 

Archéologie d'un habitat, lieu de négoce et de pouvoir

L'intérieur de celui-ci se compose notamment d'une grande « pièce à vivre » organisée autour d'un imposant foyer central de 7,5 m2. Composé d'une couronne de grandes dalles, ce foyer « chauffant au large » rappelle les cheminées équipées d'une hotte suspendue au plancher supérieur, dites cheminées sarrasines. Au sud, une pièce quadrangulaire a été édifiée ultérieurement. Le mobilier mis au jour, des pichets et des mortiers, laisse supposer qu'il s'agit d'une cuisine. Par son architecture, son étonnant foyer, cette demeure se démarque nettement des modestes habitations bourguignonnes du bas Moyen Âge.
Le mobilier archéologique actuellement exhumé corrobore cette impression : de très nombreuses parures de vêtement, une ceinture de bronze dorée, un éperon, un manche de cuillère anthropomorphe et de très nombreuses monnaies, dont certaines à l'effigie d'Eudes IV, duc de Bourgogne (1315-1349), confirment le statut social des occupants. La découverte d'une matrice de sceau, ornée d'un personnage de profil entouré de trois fermaux (agrafes), et celle de poids monétaires révèlent que cette habitation fut également un lieu de négoce, voire de pouvoir.

Où l'on apprend l'histoire d'Huguenin Jacquin et de sa lignée

L'archéologie des périodes historiques accède parfois à d'autres sources que les  « [page|294|archives du sol] ». Circonstance heureuse pour les archéologues de l'Inrap, les archives écrites révèlent très probablement le nom du propriétaire de cette demeure et permettent ainsi d'établir le profil socio-économique, voire la biographie de ses occupants.
Issu d'une lignée de maires de Cestres, Huguenin Jacquin est un négociant en laine lié au commerce international par l'intermédiaire d'un certain Antonio dei Grassi, marchand milanais. En effet, à partir du milieu du XIVe siècle, les marchands lombards sont massivement présents sur les foires, où leur activité prédomine sur le marché de la laine, des chevaux ou même de l'usure. Dès 1360, Huguenin Jacquin est plège, c'est-à-dire caution, du marchand lombard. En 1376, le Bourguignon devient son créancier et fait saisir les laines d'Antonio dei Grassi. De 1383 à 1384, Huguenin Jacquin est châtelain de Talant et sert d'intermédiaire entre la duchesse Marguerite et ses « preneurs de cheptel ». Par la suite, sa fille Églantine épouse un certain Perrenot Poinsot de Saint-Seine. Elle poursuit le commerce paternel au tournant des XIVe et XVe siècles, notamment en compagnie de son fils, Guillaume, durant son veuvage. Guillaume deviendra à son tour maire de Cestres.
Si la mémoire collective a totalement oublié l'existence d'Huguenin Jacquin et de sa lignée, le nom de la parcelle actuellement fouillée, la « Vie aux Maires », perpétue une des charges qu'incarna cette famille de Cestres.
Cette fouille permet de mettre l'accent sur une figure rarement abordée par l'archéologie : celle d'un négociant rural, personnage puissant aux multiples activités : marchand, châtelain, représentant d'une communauté. Fortement ancré localement, il participe également au commerce international par l'intermédiaire de la laine, une matière première qui a fait la richesse des plateaux du Châtillonnais au Moyen Âge. Un ensemble de bâtiments contemporains de l'habitat d'Huguenin Jacquin, dévolus à l'élevage des ovins pour leur laine, a d'ailleurs été découvert à proximité.

La fin tragique des Jacquin ?

La demeure des Jacquin semble avoir été abandonnée au début du XVe siècle. Les archéologues s'interrogent sur la fin brutale et probablement dramatique de cette demeure. En 1337, la guerre de Cent ans débute mais les années 1380-1417 voient en Châtillonnais bourguignon une terrible dépression démographique. Patrice Beck, professeur à l'université de Lille III, relate la disparition de 322 feux, soit plus de 50 % des foyers des environs de Saint-Martin du Mont. Les Jacquin ont abandonné sur le sol de leur demeure de nombreux biens personnels, souvent de valeur. Quelles pourraient en être les causes ? Les récurrences de la peste noire qui ravage la région peuvent-être l'une d'elles. Frappée par le fléau, la maison est abandonnée, sans espoir de retour. Les écorcheurs, ces bandes armées particulièrement féroces, peuvent aussi en être la cause.
Abandonnée en catastrophe, la demeure des Jacquin ne sera plus jamais réoccupée. Partiellement démantelée pour ses pierres, elle sera rapidement recouverte d'une couche de terre de colluvion, la parcelle trouvant une vocation agricole jusqu'à nos jours.
Aménagement : Particulier
Contrôle scientifique : Service régional de l'archéologie (Drac Bourgogne)
Responsable scientifique : Patrick Chopelain
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