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Brèves du Bronze : l’étonnant vase quadrangulaire de Talange
À l'occasion de la saison scientifique et culturelle de l'Inrap, des archéologues racontent des fouilles et des objets de l'âge du Bronze qui les ont marqués.
Le site de la rue Jean Moulin à Talange (Moselle) prend place au cœur de la vallée de la Moselle, à 13 kilomètres à vol d’oiseau au nord de Metz. Parmi les nombreuses structures fouillées (Protohistoire, haut Moyen Âge), deux sépultures à incinérations ont été mises en évidence dont l'une a révélé un mobilier original.
Sa fouille a été effectuée en laboratoire, après son prélèvement lors de la phase terrain. Le sédiment, individualisé par vases, a fait l’objet d’une flottation (procédé de séparation) et d’un tamisage. L’intégralité des refus de tamis a été examinée afin de collecter d’éventuelles esquilles osseuses.
Le dépôt est composé de l’urne cinéraire principale, qui contient deux vases disposés l’un dans l’autre. Le plus grand des deux est un vase avec un départ d’anse, l’autre est un petit bol comblé de sédiment et contenant, au sommet de la séquence sédimentaire un fragment de vertèbre lombaire carbonisé. À côté, mais toujours à l’intérieur de la grande urne, un objet rectangulaire, posé sur ses pieds était surmonté d’un autre vase (un petit bol d’un gabarit comparable au premier), un quatrième vase au profil identique se trouvant de biais dans le comblement du vase principal.

Incinération, structure en cours de fouille.
© Arnaud Lefebvre, Inrap
À la fin du démontage, l’amas osseux a été identifié, sous les vases, au contact avec le fond de l’urne. Il est constitué d’une dizaine de fragments d’os humains carbonisés d’un poids de 16,4 g qui attestent le caractère funéraire du dépôt. Quelques esquilles osseuses ont été retrouvées lors du tamisage du sédiment contenu dans les autres vases, portant la masse totale à 23,7 g pour 57 fragments. Si l’analyse des ossements oriente vers un individu jeune, leur nature (crâne, vertèbres et avant-bras) évoque le dépôt d’une simple poignée d’os dans le fond de l’urne.
La comparaison de ces vases avec le mobilier régional et extrarégional les renvoie au second quart du IXe siècle jusqu’à la fin du VIIIe siècle avant J.-C. Mais si l’on sort des comparaisons régionales on peut évoquer l’unicum* du vase au profil quadrangulaire. Ce dernier a une forme de barquette arquée, quatre pans de panses concaves sortants et un fond concave posé sur quatre petits pieds en bourrelet. Le décor de traits incisés larges/cannelées forme des chevrons en doubles traits encadrés sur les longueurs de croix de Saint-André, sur les largeurs de chevrons en doubles traits, non encadrés sous le fond. Un tel objet n’a pas trouvé de comparaisons en Lorraine, ni même dans les régions limitrophes.

© Lino Mocci, Inrap
Un appel a été lancé aux archéologues européens pour obtenir des informations. Les réponses les plus significatives ont été compilées et renvoient à des périodes et des régions très différentes. Elles concernent les cultures de Golasecca et Villanova du côté transalpin, des indices de profils à l’ouverture rectangulaire présents au sud de la Lorraine, notamment à Vix (Mordant, Bardel 2011) ou dans le Tarn (Giraud, Pons, Janin 2003) mais aussi des comparaisons intéressantes livrées par du mobilier issu de fouilles anciennes de la collection du musée du Bourget (Kerouanton 2023).
Une référence plus insolite a été portée à notre attention. Dans des contextes plus orientaux, autour du bassin des Carpates, des chars miniatures ont été trouvés dans des tombes, munis de petites roues ou de perforations pour les dites roues, ainsi que d’une anse. Ces objets apparaissent dès le milieu du IVe millénaire avant J.-C., et les derniers exemplaires recensés sont datés de l’âge du Bronze moyen, autour de 1500 avant J.-C. Or, la datation de l’incinération de Talange se situe quelques siècles après les derniers individus connus (découverts en Europe Centrale (Bondár 2012). Quant à la dimension spatiale, les chars les plus proches mis au jour l’ont été en Allemagne, au sud de Francfort, et au nord-est du lac de Constance (Bondár 2012), avec une datation de la fin du IVe et du début du IIIe millénaire avant J.-C.

© Arnaud Lefebvre, Inrap
Ces discordances géographiques et temporelles semblent isoler le vase quadrangulaire de Talange et l’éloigner de ces comparaisons mais son profil reste très proche des formes de barquettes arquées observables dans les collections orientales. Toutefois, ces différences sont peu compatibles avec une influence culturelle directe. Se pose alors une question fondamentale : notre vase est-il une copie inspirée d’une autre miniature (peut-être plus ancienne) ou une miniature de char contemporain ? Si l’origine, l’influence et la symbolique demeurent discutables, il semble que notre vase était la miniature d’un objet utilisé par le groupe même qui l’avait produit. Son profil, et surtout son décor, croix de Saint-André sur les petits côtés, traits obliques/chevrons sur les grands côtés, le tout encadré, le rapprochent d’une production en bois. Le tout n’est pas sans rappeler des constructions en bois, soit un objet (présence de pieds, forme de contenant pratique) soit une structure plus grande comme une maison à l’envers (parois type pan de bois)…
* Unicum : terme latin signifiant unique. En archéologie, il est utilisé pour désigner un objet archéologique unique en raison de sa nature.
Auteurs : Alexandre Monnier, Luc Sanson, Arnaud Lefebvre (Inrap)
Bondár 2012
BONDAR M., Prehistoric wagon models in the Carpathian Basin (3500-1500 BC), Budapest, Archaeolingua, Series minor 32.
Giraud, Pons, Janin 2003
GIRAUD J.-P., PONS F., JANIN T. (dir.), Nécropoles protohistoriques de la région de Castres (Tarn) : Le Causse, Gourjade, Le Martinet, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 3 vol.
Kerouanton 2023
KEROUANTON I., Les stations littorales immergées du lac du Bourget (Savoie) à l’âge du Bronze final : collections anciennes, Dijon, Association pour la promotion des recherches sur l’âge du Bronze, Bulletin de l’APRAB, supplément 11, 1 vol., 272 p.
Mordant, Bardel 2011
MORDANT C., BARDEL D., « L’âge du Bronze à Vix : nouvelles perspectives », in CHAUME B., MORDANT C. (dir.), Le complexe aristocratique de Vix : nouvelles recherches sur l’habitat, le système de fortification et l’environnement du mont Lassois, Ed. universitaires de Dijon, Art, Archéologie & Patrimoine, pp. 839-854.