Depuis 2005, un programme de fouilles est engagé dans la catacombe des saints Pierre et Marcellin à Rome. Elle est le fruit d'une collaboration scientifique entre la Commission pontificale d'archéologie sacrée (Saint-Siège), le CNRS, l'Ecole française de Rome, l'Inrap et la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine (MSHA).

Dernière modification
19 février 2016

La catacombe de Pierre et Marcellin se situe sur l'antique Via Labicana, au sud-est de Rome, à 3 km des murailles de la ville antique. Le réseau de galeries souterraines, long de 4,5 km, s'étend sur près de trois hectares et sur trois niveaux. Il accueilli entre 20 000 et 25 000 défunts. Cette catacombe complexe où reposent les saints Pierre et Marcelin est l'une des 60 nécropoles chrétiennes que compte la ville de Rome mais concentre à elle seule près d'un tiers des peintures connues pour ce type d'espaces. 

 des milliers d'individus victimes d'une épidémie ?
L'hypothèse actuelle situe le début du  fonctionnement de cet ensemble funéraire dans le dernier tiers du IIIe siècle après notre ère, avec un développement important au IVe siècle. En surface, un imposant mausolée, encore partiellement en élévation, a été édifié par l'empereur Constantin Ier pour abriter la dépouille de sa mère, Hélène.

De nouvelles salles au coeur de la catacombe des saints Pierre et Marcellin

La mission archéo-anthropologique, codirigée par Dominique Castex (CNRS) et Philippe Blanchard (Inrap), porte sur un petit secteur au centre de la catacombe. Ce secteur était encore inexploré jusqu'à l'été 2003, date à laquelle la Commission pontificale d'archéologie sacrée décida de réaliser une fouille archéologique, sous la direction de Raffaella Giuliani, inspectrice des catacombes de Rome, à la suite de la rupture d'une canalisation. Les travaux engagés ont mis au jour deux galeries orthogonales dans l'une desquelles a été mis en  évidence un pôle cultuel, insoupçonné jusqu'alors.

Quelques restes picturaux, datés stylistiquement des VIe et VIIe siècle de notre ère, permettent d'envisager un culte de reliques qui, selon des sources écrites du haut Moyen Âge, pourrait être celui d'un groupe de martyrs. En effet, la présence de nombreux personnages sur les détails d'une peinture a été une permet de faire l'hypothèse d'un culte qui pourrait être celui des « 30 martyrs romains » ou, plus probablement, celui des « 40 soldats martyrs de Sebaste », actuelle Sivas (Turquie).

L'enquête archéo-anthropologique, réalisée dans une série de pièces contiguës à la galerie où étaient pratiqués les actes de dévotion, a révélé une organisation des lieux très inhabituelle avec des pièces de tailles et de formes différentes et des niveaux très variés. Cette disposition ne ressemble en rien à l'aménagement traditionnel de la catacombe, qui se compose de galeries flanquées de loculi (niches pour le dépôt des corps), d'arcosolia (niches élaborées surmontées d'un arc) ou de cubicula (chambres pour le regroupement de tombes individuelles destinées à des familles ou des corporations).

Ossuaires ou sépultures de crise ?

Le caractère insolite de ce secteur est renforcé par la présence dans chaque pièce d'un nombre considérable d'ossements humains sur une épaisseur de près d'un mètre.
Raffaella Giuliani s'est interrogée lors de la découverte de ces amas osseux sur leur nature. S'agissait-il d'un ossuaire résultant d'un nettoyage de la catacombe à un moment de son fonctionnement, ou pouvait-on envisager un lieu particulier qui aurait accueilli des milliers de cadavres ? La fouille d'un de ces ensembles en 2004 par deux anthropologues de l'université de Pise permit d'identifier plus de 50 individus déposés simultanément ou dans un laps de temps très court.
Sur la foi de ces résultats, la Commission pontificale sollicita Dominique Castex (CNRS) en raison de ses recherches sur les crises de mortalité du passé, qui associa Philippe Blanchard, archéologue à l'Inrap et spécialiste des sépultures de crise, avec lequel elle avait collaboré en 2002 sur des inhumations multiples consécutives une épidémie à Issoudun.
L'objectif de la mission était d'approcher au mieux l'organisation et le fonctionnement de ces ensembles afin de confirmer le caractère simultané des dépôts dans chaque pièce et de tenter d'identifier la nature de la crise à l'origine des décès. De même, il importait de dater ces ensembles et d'essayer de caractériser la population inhumée.

Entre 3000 et 4000 individus

Les missions réalisées en 2005 et 2006 ont permis la fouille complète de 2 ensembles (sur les 6 restants) et révélé le dépôt de près de 160 cadavres déposés côte-à-côte et de façon superposée sur une douzaine de niveaux. En outre, des sondages pratiqués dans d'autres pièces et le réexamen des individus issus de la fouille italienne ont permis d'identifier un minimum de 315 individus  fouillés et d'estimer à plus de 3 000 le nombre de défunts encore entreposés dans ces ensembles particuliers.
En dépit d'un très mauvais état de conservation, l'étude biologique réalisée sur les individus fouillés a néanmoins permis de révéler la prédominance de jeunes adultes (souvent féminins) et le faible nombre d'enfants. Aucune lésion osseuse n'a permis de confirmer l'hypothèse de martyrs chrétiens.

Des pratiques funéraires originales

L'élément le plus surprenant fut l'identification de pratiques funéraires exceptionnelles au sein de chaque tombe. En effet, chaque squelette a été recouvert de la tête aux pieds par un matériau blanchâtre conférant une apparence de momie aux défunts. L'observation d'empreintes textiles sur les faces extérieures de ce matériau laisse présumer la présence d'un linceul. Certains individus étaient également couverts de fines particules rougeâtres et de fils d'or. Les études de laboratoire (universités Pise, de Paris VI, et de Bordeaux III) ont permis d'identifier le matériau recouvrant les corps comme du plâtre et le résidu rougeâtre comme de l'ambre provenant des côtes de la Baltique. L'originalité des pratiques funéraires comme le coût des matériaux utilisés (ambre, or...) suggèrent un statut social élevé.
La datation par carbone 14 réalisée sur un individu a donné une fourchette chronologique comprise entre 28 et 132 de notre ère et suggère ainsi le caractère très précoce de ces ensembles et leur antériorité par rapport à la vocation funéraire chrétienne de la catacombe.

Peste, typhus, variole ?

L'actuelle mission, qui s'achève fin octobre 2008, a pour objectif la fouille de deux nouveaux ensembles avec pour problématique essentielle de confirmer et de préciser les observations des fouilles antérieures. S'agit-il d'une crise épidémique de très grande ampleur ou d'une succession de crises espacées dans le temps avec persistance d'un lieu d'inhumation précis pour une catégorie sociale particulière de la population romaine ?
Il s'agira de confirmer la datation précoce de ce secteur afin de déterminer s'il ne peut pas être à l'origine du réseau funéraire chrétien développé à partir de la fin du III e siècle.
De plus, l'identification de la nature des décès revêt une importance considérable dans la compréhension générale des phénomènes de crises de mortalité épidémique (apparition des maladies, diffusion, etc.). La peste comme le typhus et la variole sont aujourd'hui envisagés.
Direction de la fouille : CNRS : Dominique Castex, chargée de recherches, UMR 5199 « Pacea »
Inrap : Philippe Blanchard, archéologue