Des Sarrasins en Provence : représentations ecclésiales et luttes pour l'hégémonie en Méditerranée du 10e au 13e siècle

Dans l'imaginaire et dans une bonne partie de l'historiographie, ancienne mais aussi récente, la question de la présence musulmane en Provence est associée à l'établissement du Fraxinetum (site généralement identifié à la Garde-Freinet, dans le Massif des Maures), à l'enlèvement de l'abbé Maïeul de Cluny par les « Sarrasins », suivi de l'expulsion de ces derniers hors de Provence, en 973, par le comte et ses alliés, ainsi qu'à des actes de piraterie (destructions, pillages, enlèvements) qui touchèrent régulièrement, entre le 10^e et le 13^e siècle, les côtes provençales. Nous souhaitons proposer une relecture globale de l'ensemble de la documentation écrite sur les « Sarrasins » produite en Provence durant cette période, dans une double perspective :

1) Les documents évoquant, entre le 10^e et le 13^e siècle, les « Sarrasins », qui émanent essentiellement de clercs et de moines (ceux, notamment, de Cluny, de Saint-Victor de Marseille et de Lérins), constituent à bien des égards un discours ecclésiologique, destiné à définir et légitimer une Église universelle et des églises locales présentée(s) comme assiégée(s) et résistant aux païens ou infidèles. On s'intéressera donc tout d'abord à l'élaboration, aux modèles et à la diffusion de ce discours, que l'on relève aussi bien, en Provence médiévale, dans les chartes que dans les chroniques et les textes hagiographiques. On abordera également, par ce biais, l'idéologie de la « guerre sainte ».

2) Pour comprendre les rapports de force que masque en partie ce « discours de l'Église », on s'efforcera ensuite de replacer les « incursions » provençales des musulmans dans un cadre méditerranéen plus vaste, mettant en relation les taïfas d'Espagne, la Provence et l'Italie (notamment Pise et les grandes îles de la mer tyrrhénienne). C'est, en effet, dans ce cadre que l'on peut s'interroger sur la mise en place d'un « État islamique de frontière » (comme on l'a proposé récemment pour Fraxinetum) ou d'un « califat maritime » (comme on l'a avancé pour Denia), sur la lutte de certaines puissances chrétiennes (comme Pise) pour l'hégémonie : il s'agit en fait d'aborder, à l'aune des relations entre chrétiens et musulmans, le jeu des compétitions et des alliances en Europe méditerranéenne.