En décembre 2024, les archéologues de l’Inrap ont fouillé, sur prescription de l’État (Drac Nouvelle-Aquitaine), un site à La Flotte, sur l’île de Ré. La parcelle de 900 m² est localisée à une cinquantaine de mètres du rivage ancien et à proximité immédiate d’un site occupé durant l’Antiquité. La fouille dévoile essentiellement des vestiges médiévaux qui attestent de vastes réseaux d’échanges au haut Moyen Âge entre le monde nordique et la côte atlantique.

Dernière modification
18 février 2025

La Flotte, un havre d’échouage ?

La Flotte, sur la côte nord de l’île de Ré pourrait être un port d’échouage depuis l’Antiquité. Durant le haut Moyen Âge, il est probable que l’île de Ré, comme les autres îles du littoral, ait servi d’abri à différentes populations se déplaçant pour des raisons commerciales ou belliqueuses : entre le IXe et le XIe siècle, les chroniques médiévales font surtout mention de nombreux raids vikings dans la région. La fouille de La Flotte témoigne de ces échanges avec les populations de l’Europe du Nord.

L’occupation funéraire

Une cinquantaine de sépultures se situent autour et à l’intérieur d'une chapelle. Elle pourrait être celle du prieuré Sainte-Eulalie, mentionné pour la première fois dans les sources en 1156 mais dont les origines sont inconnues. Il est détruit lors des guerres de Religion.

L’occupation funéraire débute à la fin du VIIIe siècle et s'étend jusqu'au XVe. Outre ces sépultures individuelles primaires, les archéologues ont mis au jour un ossuaire et plusieurs zones contenant des ossements humains provenant de sépultures perturbées et/ou recoupées.

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Sépultures installées dans le bâtiment, possible chapelle, avec au centre des fours à cloche du début du XIIIe siècle. 

© Clémence Pilorge, Inrap

Hormis des sépultures à l’intérieur de la chapelle datant des XIVe- XVe siècles, les tombes remontant à la période carolingienne (fin VIIIe-Xe siècle) sont toutes à l’extérieur. Ce sont pour la plupart de simples fosses, fermées par une couverture en bois ou parfois un aménagement de bois et de pierre. Parmi ces tombes, quelques-unes se distinguent par la position des corps, leur orientation et la présence d’objets.

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La chapelle en fin de fouille, vue depuis le sud. Entre les deux piliers, deux fours à cloche se recoupent.

© Alice Dupuis, Inrap

Cinq sépultures atypiques

Traditionnellement, les défunts sont allongés sur le dos, les membres inférieurs en extension. Trois individus sont dans une position inhabituelle : l’un est étendu sur le côté gauche et ses membres inférieurs fléchis, l'autre est allongé sur le ventre et le troisième est sur le dos mais ses membres sont repliés et surélevés. Pour les deux derniers, il reste à confirmer si ces positions sont volontaires ou liées à l’effondrement de l’architecture de la tombe. Quoi qu’il en soit ces deux sépultures sortent de la norme puisqu’elles sont orientées la tête au sud-sud-ouest.

Ces inhumations, comprennent du mobilier (parures, vêtements, objets personnels) et dites « habillées », sont tout à fait exceptionnelles pour l’époque carolingienne.
Le mobilier comprend deux peignes (en os ou bois de cervidés) dont l’un à décor géométrique trouve des parallèles dans la région frisonne. Des perles en ambre, en verre, en os et en alliage cuivreux sont présentes dans deux sépultures, sous forme de collier ou accompagnant des objets métalliques. Ces perles se rapprochent d’exemplaires bien connus dans le monde nordique où elles sont datées du IXe siècle.

Le mobilier métallique comprend plusieurs objets en fer dont un couteau pivotant, modèle déjà identifié dans la moitié sud-est de l’Angleterre. Enfin, une ceinture en alliage cuivreux (et peut-être placage d’argent ?) présente un décor d’entrelacs et évoque le monde anglo-saxon.

Étude du mobilier

L’observation du mobilier tend à rapprocher celui-ci de la culture matérielle des sociétés de la mer du Nord : peut-être la côte sud de la mer du Nord et de l'Angleterre. Le mobilier de La Flotte n’a pas d’équivalent en France ce qui rend les comparaisons difficiles. Les analyses des perles en verre, de la matière animale des peignes, perle et aiguilles et des matériaux minéralisés (bois, textile) permettront de connaître l’origine de certains matériaux.

La mise en état pour étude du mobilier permet de garantir sa conservation et d’améliorer sa lisibilité en vue de son examen. Les différentes interventions prévues visent à la préservation du mobilier, souvent fragile (perles en ambre notamment) à sa stabilisation ou à son nettoyage pour accéder à la surface. Ce travail sera réalisé au laboratoire Arc’Antique, service du Département de Loire-Atlantique, spécialisé dans la conservation-restauration du patrimoine archéologique terrestre et sous-marin. Ce travail de conservation-restauration s’appuie sur les expertises du laboratoire, notamment en imagerie et en science du patrimoine. Le travail du laboratoire permettra notamment d’accéder aux différents décors (ceinture/peigne), d’étudier les restes de textile conservés à la surface de certains objets, d’identifier les matériaux et de manipuler les objets les plus fragiles.

Aujourd’hui deux hypothèses sont envisagées : une population d’origine étrangère au sein d’un cimetière local ou quelques locaux privilégiés affichant leur statut particulier jusque dans la mort. Dans les deux cas, la fouille de La Flotte est la preuve archéologique de contacts entre l'île de Ré et les mers nordiques qui s'inscrivent dans un vaste réseau d'échanges et de conflits. Les datations au radiocarbone de l'ensemble des tombes, les analyses isotopiques et génomiques sur les individus permettront peut-être d'accéder à leurs origines géographiques et génétiques, et, éventuellement, à leur statut social.

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Analyse en cours sur un des peignes.

© C. Colonnier / Laboratoire Arc'Antique – Grand-Patrimoine-de-Loire-Atlantique

Aménagement : Particulier
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Nouvelle-Aquitaine)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Annie Bolle, Inrap
Responsable de secteur, anthropologue : Elsa Ciesielski, Inrap
Responsable de secteur : Jean-Sébastien Torchut, Inrap