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Fouille du « Quartier des artisans » à Gergovie
En collaboration avec la Maison des sciences humaines (MSH) de Clermont-Ferrand, l'Inrap réexamine le secteur dit « Quartier des artisans » de l'oppidum de Gergovie, un secteur-clé qui a fait l’objet de plusieurs dégagements depuis 1861. Yann Deberge, archéologue Inrap, décrit cette opération mêlant interventions de terrain et étude documentaire.
Vous intervenez sur le plateau de Gergovie dans le cadre d’une fouille programmée. Quel est le but de cette fouille ?
Yann Deberge : C'est une fouille conduite à l’initiative de l’État, qui nous a invités à reprendre une activité de recherche, dans le cadre de l’archéologie programmée, sur ce secteur particulier, dit du « Quartier des artisans », de Gergovie avec plusieurs objectifs. L’un est culturel et vise à maintenir une activité de recherche visiblesur ce site classé qui est toujours très fréquenté. La fouille, via un dispositif permettant des visites en continu, sert ainsi de support à des actions de médiation conduites par le musée de site (Musée Archéologique de la Bataille de Gergovie). Un autre est patrimonial. Ce secteur, fouillé à quatre reprises par le passé, a été laissé en l’état à l’issue de ces recherches. Certains vestiges sont restés à l’air libre pendant plus de 80 ans et se sont dégradés. La fouille doit se conclure par une remise en état des terrains, ses résultats servant à engager une réflexion sur la valorisation de cette partie du site. Le dernier objectif, celui qui m’intéresse le plus, est d’ordre scientifique. Il vise à réétudier ce secteur précis de l’oppidum de Gergovie, localisé au croisement de la fortification protohistorique et de l’une des principales voies d’accès au site, dont le potentiel archéologique exceptionnel a été révélé par les fouilles anciennes.

Vue générale de la fouille du « quartier des artisans » en 2024, sur le plateau de Gergovie.
© Flore Giraud
Cette opération est conduite par l’Inrap en collaboration avec la Maison des sciences humaines (MSH) de Clermont-Ferrand, et notamment de Marion Dacko ingénieure de recherche co-responsable du projet, avec le soutien de l’Etat, du Conseil départemental du Puy-de-Dôme, d’un mécène (Société Promogim) et de nos structures de rattachements respectives. Il s’agit d’une fouille programmée conduite, à cadence de deux mois par an, par une équipe d’une vingtaine de personnes associant des agents de l’Inrap et de la MSH, l’essentiel des fouilleurs étant constitué d’étudiants et de bénévoles. 2022, était une année probatoire, suivie d’une première fouille pluriannuelle 2023-2025. Nous espérons qu’elle puisse se poursuivre au-delà.

La fouille du « quartier des artisans » sur le plateau de Gergovie, juin 2024.
© Henri Derus
Quelle est la mission de la Maison des sciences humaines (MSH) de Clermont-Ferrand ?
Y. D. : La MSH de Clermont-Ferrand, en plus de contribuer à l’ingénierie du projet et à l’encadrement des stagiaires, réalise l’étude documentaire des interventions passées. Quatre grandes campagnes de fouilles ont concerné ce secteur de Gergovie. Les premières recherches ont été conduites en 1861, dans un contexte lié à la venue de Napoléon III prévue l’année suivante, puis suivies de nouvelles fouilles en 1936 et 1937, entre 1942 et 1944 puis enfin en 1947 et 1949. Si le premier de ces fouilleurs, l’agent voyer Claude Aucler, est relativement anonyme, les chercheurs qui lui ont succédé sont plus connus. Il y a d’abord eu l’archéologue britannique Olwen Brogan, devenue ensuite spécialiste de la Lybie romaine, puis Jean Lassus, Jean-Jacques Hatt et enfin Michel Labrousse. La conservation de leurs archives n’a pas été assurée à la suite des fouilles. Certaines ont été détruites ou perdues, d’autres sont entrées dans des institutions ou des collections privées. L’étude archivistique a permis d’identifier quinze fonds différents localisés en France et au Royaume-Uni. Ce travail de collecte, d’inventaire et d’étude de la documentation ancienne est essentiel pour établir quelles ont été les méthodes (fouille, enregistrement et restitution de l’information) mises en œuvre par nos prédécesseurs. Il permet aussi de mieux saisir la nature de certains vestiges détruits consécutivement à leur mise au jour.

Exemple de documents inédits relatifs aux travaux de 1861, 1936-7, 1942-4 et 1947/9.
© M. Dacko, MSH
Les archives recoupent les fouilles et vice-versa ?
Y. D. : L’un des objectifs affichés de cette fouille est de faire « l’archéologie de l’archéologie ». C’est une démarche nouvelle à Gergovie où les vestiges des recherches anciennes ont rarement été étudiés en tant que tels. Quand nous avons repris le terrain, la zone d’étude présentait une topographie de surface très perturbée avec des dénivelés de deux à trois mètres. En l’absence de plan d’ensemble permettant d’identifier les zones fouillées, la première étape a donc été de relocaliser les anciens sondages, en grande partie comblés, et de les fouiller. En croisant nos observations avec les documents d’archive nous sommes parvenus à dresser un plan d’ensemble des dégagements opérés anciennement, document qui faisait défaut. La fouille de ces excavations anciennes a également permis de comprendre quelles ont été les méthodes, de fouille et d’enregistrement, employées par nos prédécesseurs. Finalement, cette démarche a une visée épistémologique et contribue, modestement, à « l’histoire de l’archéologie ». Nous voyons donc comment ont travaillé ces fouilleurs du milieu du XIXe siècle et de la première moitié du siècle suivant, quels ont été leurs cheminements intellectuels, leurs techniques de fouille et d’enregistrement de l’information.
La stratigraphie était, même en plein XXe siècle, assez mal maîtrisée aussi bien d’un point de vue conceptuel que méthodologique. Certains de ces chercheurs ont par exemple considéré que les trois mètres de couches archéologiques présents ici correspondaient à plusieurs remblais successifs là où nous reconnaissons une accumulation d’aménagements due à des occupations successives. À leur décharge, nos prédécesseurs disposaient de moyens limités. Les campagnes de fouilles ont toutes été de courte durée (au mieux quelques semaines par an) et la main-d’œuvre était peu qualifiée (ouvriers agricoles ou terrassiers). La forme des dégagements (des sondages en tranchée ou ponctuels) ainsi que le mode opératoire employé (terrassements « pleine masse » à la pioche et à la pelle), ne favorisaient pas non plus la bonne détection des vestiges. Des fouilles planimétriques en aire ouverte ont aussi été réalisées mais elles n’ont concerné qu’un petit secteur de notre zone d’étude. Là non plus, fautes d’avoir bénéficié de dégagements suffisamment fins, les vestiges ne paraissent pas avoir été perçus de façon optimale. Le dernier intervenant a été le plus invasif. S’il a bien perçu la présence des aménagements maçonnés, certains étant alors conservés sur près d’un mètre d’élévation, il s’est rarement arrêté sur les couches qui leur étaient associées. En découle une perception largement tronquée de cet ensemble de vestiges ce dont témoigne ses relevés en coupe avec des murs « flottants » au milieux de « remblais ».

Maçonneries conservées en blocs de basalte.
© Flore Giraud
Le déblaiement de ces sondages anciens nous a permis de retrouver le fond de forme de ces différentes fouilles qui n’ont atteint le substrat géologique que très ponctuellement. Les vestiges dégagés anciennement ont presque tous été retrouvés. Ils présentent souvent un état de dégradation avancé et subsistent à l’état de lambeau. L’enjeu pour nous est d’en préciser la datation et l’insertion stratigraphique par une fouille plus complète et étendue aux zones non perturbées. L’analyse des archives (croquis en plan et en coupe, documents photographiques, description) permet de connaître leur état de conservation initial et apporte parfois des précisions sur leur positionnement stratigraphique.

Exemple de relevés en plan produits en 1942-1944.
© M. Dacko, MSH
Quelle était la lecture des archéologues qui ont précédé ?
Y. D. : En 1861, le premier intervenant a dégagé le bâtiment le plus récent du secteur. Il a identifié cet ensemble monumental bâti « à la romaine » à une des portes de l’oppidum. Via des sondages ponctuels conduits en profondeur dans l’emprise et en périphérie de ce bâtiment, les fouilleurs des années 1930 ont mis en évidence deux ensembles successifs de constructions plus anciennes. Pour ces derniers, il s’agissait des vestiges d’une modeste occupation à vocation artisanale. En raison de difficultés d’accès aux terrains, le troisième fouilleur est intervenu à distance des deux premiers, sur le versant opposé de cette combe. Il y a identifié un ensemble de maçonneries renvoyant à trois ou quatre phases d’occupation successives. Pour lui, ce secteur accueillait un habitat à vocation artisanale, particulièrement dynamique, adossé à la fortification protohistorique. Le dernier intervenant a tenté de faire la jonction entre les deux zones précédemment étudiées en réalisant une série de sondages étendus et profonds en position médiane. Il a, comme ses prédécesseurs, dégagé un ensemble complexe de maçonneries renvoyant à cinq phases d’occupation successives. Pour lui, ces aménagements appartenaient à un habitat plutôt modeste et tardif, essentiellement augustéen. Fait récurrent, chacun de ces chercheurs a remis en cause les interprétations formulées antérieurement.

Exemple de documents publiés relatifs aux travaux de 1861, 1936-7, 1942-4 et 1947/9.
© M. Dacko, MSH
D’un point de vue quantitatif et qualitatif, les vestiges mobiliers collectés alors contrastent avec cette « modestie » évoquée par les fouilleurs passés. La collection a même un caractère remarquable en regard de celles exhumées ailleurs sur le plateau, ce que confirment nos observations. Eu égard à la surface fouillée (un peu moins 900 m²), les amphores sont nombreuses (250 récipients comptabilisés à ce jour) et d’origines diverses. Elles témoignent de l’arrivée sur place de vin, de sirop, d’huile et de salaisons en provenance d’Italie, de Tarraconaise, de Bétique et, plus marginalement, de Méditerranée orientale. De l’alun, substance originaire des îles Lipari utilisée pour la teinture ou la tannerie, est également présent de même que du bleu égyptien, l’un des premiers pigments de synthèse utilisé en cosmétique et/ou décoration. La vaisselle d’importation est également bien représentée. Il s’agit principalement, à côté de céramiques vernis noir, de lampes à huiles, de balsamaires et de gobelets à parois fines, de sigillées importées d’Italie. Figurent notamment de grands plats de service qui renvoient aux répertoires archaïques ou précoces des années 40 ou 30 avant J.-C., plutôt rares régionalement. Plusieurs gobelets et coupes en verre, importations encore peu répandues à cette période, ainsi que de la vaisselle métallique sont également présents. A ce jour plus de 150 monnaies, pour l’essentiel des émissions gauloises, de nombreux objets de parure, des pions de jeu, poids de balance…ainsi qu’une grande quantité de rejets domestiques (céramique locale et faune) ont aussi été collectés sur ce petit espace. Des vestiges artisanaux sont également présents en quantité. Ils témoignent de la présence sur place d’artisans métallurgistes.
Nous ne percevons pas, à travers les données mobilières et immobilières, la modestie décrite par certains de nos prédécesseurs. Au contraire, nous avons l’impression qu’une population assez privilégiée, associant artisans et commerçants, occupait ce secteur d’habitat extrêmement dynamique parce que situé à proximité d’un point d’accès à l’oppidum. Aujourd’hui, les activités artisanales ne sont pas socialement valorisées, sauf peut-être pour ce qui concerne l’artisanat d’art. Ce n’était probablement pas le cas à l’âge du Fer, période à laquelle les artisans métallurgistes détiennent un savoir que peu de gens ont. En témoigne par exemple le nom porté par certains membres de l’élite, tel Gobannitio l’oncle de Vercingétorix et membre de la plus haute aristocratie arverne, dont le nom est formé sur le radical goban qui signifie « forgeron ».
Pour les chercheurs des années 1930 et 1940, cette occupation était, dans son intégralité, attribuable à la période augustéenne. Il est à noter que leurs dégagements avaient surtout favorisé les niveaux archéologiques les plus récents et les couches « profondes » n’avaient finalement été que peu vues. Les terrassements « pleine masse », méthode de fouille alors privilégiée, conduisait également au mélange d’éléments de couches différentes conduisant mécaniquement à un « rajeunissement » des datations. Nos observations permettent de revoir largement ces propositions d’attribution chronologique. Alors que les fouilleurs des années 1930 et 1940 envisageaient que cette occupation avait été courte, nos observations conduisent à doubler sa durée, celle-ci passant d’une quarantaine d’années à environ quatre-vingt.
C’est un des objectifs de cette fouille que de parvenir à proposer une lecture renouvelée de cet ensemble de vestiges en précisant leur nature, leur fonction et leur chronologie. Elle offre également l’opportunité d’avoir recours à des méthodes d’analyse, couramment utilisées sur les chantiers préventifs mais encore rarement mises en œuvre à Gergovie, telles que la carpologie, l’anthracologie, la micromorphologie… afin d’avoir des informations sur l’alimentation, l’exploitation et l’utilisation du bois, les paléo-environnements, l’architecture...

Vue générale de la fouille du « quartier des artisans » en 2024, sur le plateau de Gergovie.
© Flore Giraud
Il paraît que vous avez découvert de l’outillage des fouilles précédentes. De quoi s’agit-il exactement ?
Y. D. : Nous avons effectivement trouvés quelques objets liés à l’exécution des fouilles anciennes. Les fouilleurs des années 1936-37 ont par exemple laissé une pièce de monnaie datée de 1935 en guise de marquage pour indiquer qu’ils avaient retourné une pierre appartenant à une maçonnerie. Les mêmes ont déposé une bouteille de Cointreau intacte dans l’une de leurs tranchées de fouille soit, là encore, a une fin de marquage, soit à la suite d’un événement festif.
Nous avons aussi retrouvé quelques outils laissés par les fouilles des années 1940 : un seau et une boîte en fer blanc contenant du mobilier archéologique, un petit râteau à main et une spatule sûrement utilisés comme outil de fouille fine. Nous retrouvons également des emballages alimentaires de type boîtes de conserve, notamment de sardines, quelques fragments de vaisselle ainsi que des fils métalliques utilisés pour clôturer les fouilles.

Bouteille de Cointreau retrouvée au fond d’un sondage réalisé en 1936-7.
© C. Brossard, MSH

Seau en fer blanc découvert au fond d’un sondage réalisé en 1947/9.
© D. Pasquier, Inrap

Pièce de 5 centimes de 1935 retrouvée sous un bloc, appartenant à un mur en pierres sèches, retourné en 1936-7.
© Y. Deberge, Inrap

Boîte en fer blanc découverte au fond d’un sondage réalisé en 1947/9.
© D. Pasquier, Inrap
En 2024, nous avons aussi trouvé un lot de mobilier totalisant 750 tessons de céramique et plusieurs éléments métalliques, visiblement triés, qui avait été laissé en bordure d’un puits fouillé en 1947. Protégé par une dalle de fibrociment et probablement emballé dans du papier journal, il comportait en guise de marquage deux douilles de munition militaire de type MAS 36 placées en position centrale. La mention « LM 1 37 » figurant sur le culot permet d’identifier des munitions fabriquées au premier trimestre de l’année 1937 dans la manufacture du Mans.
Enfin nous avons également retrouvé dans le comblement des sondages anciens plusieurs éléments d’architecture contemporains tels que des fûts de colonnes en béton, de la faïence sanitaire, des tuiles… Ils sont visiblement issus de la destruction de la « maison de fouille » construite, au début de la Seconde Guerre mondiale, à peu de distance.

Fût de colonne en béton trouvé au fond d’un sondage réalisé en 1947/9.
© C. Raymond, Inrap
On fouille à Gergovie dans les années 1940 ?
Y. D. : Oui, il y a des fouilles conduites sur le plateau de Gergovie en général, et sur le secteur qui nous intéresse en particulier, dès 1940. Cette opération a été conduite dans un contexte très particulier. Elle a été réalisée à l’initiative de l’université de Strasbourg alors repliée à Clermont-Ferrand. L’idée était d’avoir un lieu de fouille sur le plateau qui permettrait de garder les étudiants strasbourgeois, au moins certains d’entre eux, pour qu’ils ne repartent pas en Alsace, territoire intégré au Reich après la défaite. Ces fouilles ont été mises en place avec l’aval et le soutien de Vichy, mais plusieurs de ces étudiants, qui s’appelleront eux-mêmes les « Gergoviotes », vont s’impliquer, à des degrés divers, dans les mouvements de résistance. Le premier directeur des fouilles, Jean Lassus, a lui-même connu la déportation.
C’est à cette occasion qu’une base de fouille a été construite sur place avec l’appui du général de Lattre de Tassigny alors en charge du secteur militaire de Clermont-Ferrand. Celui-ci a fait doter le chantier d’une construction en préfabriqué qui a été édifiée par les étudiants avec l’assistance de quelques militaires. Les fouilleurs disposaient ainsi de dortoirs, filles et garçons séparés, d’une cuisine, d’un musée/réfectoire, d’une salle de travail ainsi que d’un laboratoire photographique. Cette base de fouille, connue sous le nom de « maison des étudiants strasbourgeois », a été détruite à la fin des années 1940. Il n’en reste aujourd’hui que les soubassements parfois pris, par les visiteurs, pour des vestiges antiques.

La « maison des étudiants » à Gergovie : en 1942, actuellement et restitution.
© M. Dacko, MSH
Quels types de vestiges rencontrez-vous sur ce secteur particulier du plateau ?
Y. D. : Les comptes rendus publiés des fouilles anciennes laissaient envisager la présence d’une stratigraphie développée. Ils décrivaient la présence d’un étagement des vestiges sur deux à trois mètres d’épaisseur. Cette donnée nous laissait très perplexe. Gergovie correspond à un site de hauteur où la puissance des couches archéologiques est, en règle générale, bien moins importante. De fait, sur cette petite fouille de 850 mètres carrés d’emprise, c’est bel et bien une stratigraphie de type urbain à laquelle nous sommes confrontés. C’est suffisamment rare sur les oppida régionaux pour être souligné. Les niveaux anthropisés atteignent près de trois mètres d’épaisseur et leur fouille montre qu’ils résultent effectivement d’un empilement de couches liées à la construction, à l’occupation puis à la destruction de bâtiments successifs.

Modèle numérique de terrain (MNT) de l’emprise étudiée à la fin de l’opération de 2023.
© Yann Deberge, Inrap
La topographie, la géologie et l’organisation urbaine du site sont à l’origine de cette situation particulière. Nous nous trouvons précisément au débouché sud d’une combe, elle-même liée à l’existence d’une flexure de l’entablement basaltique qui forme ici le substratum, qui traverse transversalement l’oppidum. Cet emplacement a été choisi par les occupants des lieux comme point d’accès privilégié au site. Des terrassements destinés à viabiliser la zone puis la réalisation d’aménagements privés (bâtiments d’habitation, citernes, caniveaux…) et publiques (voies et fortifications) ont conduit à l’exhaussement progressif du niveau de circulation jusqu’à atteindre celui qu’il a actuellement. Les vestiges présentent donc ici, moins les destructions liées aux travaux de recherches antérieurs, un état de préservation remarquable, rarement rencontré sur les sites de la fin de l’âge du Fer et du début de la période romaine. Les sols sont conservés ainsi que les maçonneries qui atteignent jusqu’à un mètre d’élévation. Certains aménagements ont un caractère massif, pour ne pas dire monumental, avec l’emploi de blocs de basalte de grande dimension. Des éléments d’architecture en bois carbonisés en place sont également préservés ainsi que des couches liées à la destruction par le feu d’édifices à architecture mixte (élévations en matériaux périssables sur soubassements en pierres).

Traces de destruction par le feu d’édifices à architecture mixte.
© Flore Giraud
Les trois années passées ont été essentiellement consacrées à la fouille des fouilles anciennes et au redégagement des vestiges exhumés anciennement. Les volumes de terre fouillés en grande partie manuellement sont considérables (environ 1400 m3 depuis 2022). En 2024, nous avons pu malgré tout entamer la fouille des couches archéologiques anciennes en place avec d’ores et déjà des résultats nouveaux et inédits. En premier lieu, nous avons exhumé une portion de la fortification protohistorique, celle que nous pensons être contemporaine du siège conduit par César au printemps de l’année 52 av. J.-C. Il s’agit de la muraille à éperons reconnue ailleurs sur le site et qui a déjà fait l’objet d’une publication. Elle n’avait pas été vue ici lors des fouilles anciennes et sa présence amène à reconsidérer les propositions faites antérieurement quant à l’organisation de cet accès à l’oppidum. Cet ouvrage défensif s’installe lui-même sur des niveaux archéologiques plus anciens correspondant d’abord à des couches de nivellement massives sur lesquelles s’installent des structures d’habitat. D’autres constructions semblent contemporaines de l’ouvrage défensif. Leur dégagement devrait permettre, et c’est une nouveauté, de caractériser l’occupation qui se développe à proximité immédiate de cette fortification.
L’aménagement le plus récent au grand bâtiment, maçonné au mortier de chaux, évoqué plus haut. Il a sûrement été construit au mitan de la période augustéenne. Uniquement conservé en fondation, cet ouvrage monumental et de plan atypique s’accole à la muraille laténienne. Il s’agit probablement d’un ouvrage appartenant à la fortification, peut-être un élément de rempart ou de porte. Son édification renvoie peut-être à la campagne de « rhabillage » des accès au site documentée ailleurs sur l’oppidum. Cette (re)construction a été précédée par des travaux de génie civile important. Les édifices antérieurs ont été détruits et leur démolition a servi au nivellement des terrains.

Vue aérienne de la fouille du « quartier des artisans » en 2024, sur le plateau de Gergovie.
© Flore Giraud
L’un des apports de nos travaux est également de percevoir la temporalité de cette occupation très dynamique. Nous sommes ici sur un temps relativement court compris entre la ou les décennies qui précède le milieu du Ier s. av. J.-C. et les années 15/20 de notre ère. L’hypothèse actuelle est que nous fouillons un quartier d’habitation à vocation artisanale, puisque nous avons des vestiges qui renvoient à la métallurgie du fer et du bronze, qui se développe à proximité immédiate d’ouvrages liés à la défense du site. Les indices d’occupations plus anciennes sont discrets sans être absents. Ils témoignent d’une fréquentation du secteur, selon des modalités qui restent à définir, au Néolithique (moyen et final), à l’âge du Bronze (ancien et final), au début et à la fin du premier âge du Fer ainsi qu’aux IIIe-IIe s. av. J.-C.
Arrive-t-on à avoir une estimation de la quantité de population qui vivait à Gergovie ?
Y. D. : Sur aucun des sites de la période gauloise, nous ne sommes capables de le dire. Des travaux de prospection récents réalisés sur Gergovie montrent que la quasi-totalité des 70 hectares de l’oppidum semble mobilisée à la fin de l’âge du Fer et/ou à la période augustéenne. Une grande partie du plateau est donc occupée. Ce que l’on sait, c’est que l’oppidum comportait plusieurs aménagements publics, tels que le rempart, dont les portes ont donc été reconstruites sous Auguste, une place monumentale localisée au centre du plateau ainsi qu’un réseau de voies et de structures fossoyées structurant le site. L’habitat privé est en revanche bien moins connu faute d’avoir bénéficié de fouilles étendues. Gergovie devait ressembler à une ville mais il est impossible de dire quelle était sa densité d’occupation.

Vue aérienne de la fouille du « quartier des artisans » en 2024, et du plateau de Gergovie.
© Flore Giraud
Paradoxalement, cet oppidum a été très peu fouillé, toujours sur des superficies extrêmement réduites et souvent à des emplacements ayant déjà été fouillés par le passé. A ce jour, l’emprise totale examinée atteint 1,6 hectare, fouilles récentes comprises. Dans le détail, environ 8 000 m² ont été explorés anciennement, avec des méthodes d’investigation très diverses mais souvent assez superficielles, auxquels s’ajoutent 8 600 m² supplémentaires fouillés depuis l’année 2000. Au final, les surfaces explorées selon les méthodes de l’archéologie actuelle, avec toutefois un degré d’achèvement variable puisque toutes n’ont pas été exhaustives, représentent seulement 1% de la surface totale du plateau.

La fouille du « quartier des artisans » sur le plateau de Gergovie, juin 2024.
© Henri Derus
Quelles sont les difficultés liées à cette fouille programmée et quelles solutions avaient vous envisagé pour y répondre ?
Y. D. : Cette fouille présente des contraintes opérationnelles qui nous ont obligés à expérimenter des solutions sinon « nouvelles » du moins encore peu utilisées. Hors réseau, nous avons opté pour une alimentation du cantonnement en électricité à partir d’un système associant panneaux solaires placés en toiture et batterie. Aux WC chimiques nous avons préféré des toilettes sèches qui présentent un confort d’utilisation bien supérieur notamment en période estivale.
Le terrain lui-même présente des contraintes importantes : l’emprise est exiguë et localisée dans un espace restreint, le terrain est accidenté avec des dénivelés qui atteignent ponctuellement près de 3 m, les couches archéologiques sont épaisses et chargées en blocs de basalte, le site est protégé au titre des Monuments Historiques et certains types de vestiges ne peuvent être démontés. Ainsi, comme aide à la fouille nous avons utilisé, durant trois années consécutives, des tapis convoyeurs à bande pour évacuer les déblais hors de l’emprise ensuite repris à la mini pelle et évacués à l’aide d’un sambron. Le traitement des très nombreux, et souvent imposants, blocs de basalte, nous a posé plus de problème. Nous avons envisagé d’utiliser des pinces hydrauliques ou l’élingage via la mise en place de goujons de levage mais l’utilisation de la masse et/ou du marteau piqueur, pour briser les blocs, reste la solution la plus opérante. Concernant les cheminements, nous allons tester en 2025 l’utilisation de platelages d’échafaudage pour évoluer dans les zones les plus accidentées afin de limiter les risques d’accident.
Pour finir, le chantier fait l’objet de relevés photogrammétriques intégraux à cadence régulière. Cette méthode d’enregistrement de l’information, maintenant éprouvée, permet l’établissement des plans de masse et de profils. Cela nous permet également d'avoir des copies numériques du site à chaque grande phase de dégagement et ainsi une archive tridimensionnelle de ces vestiges relativement uniques. La contrepartie est un besoin important en espace de stockage, chaque opération générant environ 500 Go de données numériques.
- Vous intervenez sur le plateau de Gergovie dans le cadre d’une fouille programmée. Quel est le but de cette fouille ?
- Quelle est la mission de la Maison des sciences humaines (MSH) de Clermont-Ferrand ?
- Les archives recoupent les fouilles et vice-versa ?
- Quelle était la lecture des archéologues qui ont précédé ?
- Il paraît que vous avez découvert de l’outillage des fouilles précédentes. De quoi s’agit-il exactement ?
- On fouille à Gergovie dans les années 1940 ?
- Quels types de vestiges rencontrez-vous sur ce secteur particulier du plateau ?
- Arrive-t-on à avoir une estimation de la quantité de population qui vivait à Gergovie ?
- Quelles sont les difficultés liées à cette fouille programmée et quelles solutions avaient vous envisagé pour y répondre ?