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« La mixité est une vraie plus-value pour tout le monde ! »
Responsable de recherches archéologiques depuis dix ans à l’Inrap, Marie-Caroline Charbonnier est montée en compétences en participant, puis en pilotant de nombreuses fouilles dans différentes régions françaises. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, elle a accepté de revenir sur son parcours et sa passion pour l’archéologie !
Pouvez-vous nous raconter votre parcours professionnel ?
Marie-Caroline Charbonnier, responsable de recherches archéologiques : J’ai toujours été passionnée par l’histoire, notamment l’Antiquité romaine, et par l’archéologie. C’est pourquoi j’ai étudié ces deux disciplines en master à l’université Paris IV, puis Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Une fois diplômée, j’ai commencé à travailler comme technicienne sur des chantiers de fouilles en me spécialisant en parallèle en micromorphologie, c’est-à-dire sur l’étude des sols et plus précisément sur les modes de construction des niveaux de circulation antiques (voies et rues). J’ai enchaîné plusieurs contrats à durée déterminée pour l’Inrap et des collectivités territoriales, essentiellement dans le nord et dans l’est de la France ainsi qu’en région parisienne. C’était une période très enrichissante, car j’ai eu la possibilité de voyager et de rencontrer de nouvelles personnes. En plus de mon intérêt pour l’histoire, j’aime être sur le terrain, fouiller, explorer les sols… J’avais 23 ans lors de mon premier chantier. J’ai quitté mon appartement à Paris et je suis partie en Grand Est. Il s’agissait d’une fouille réalisée en amont de la construction de la ligne TGV Est, dirigée par le Conseil départemental de la Moselle. Elle a duré presque une année. Les conditions de travail étaient difficiles, notamment à cause du froid, mais c’était un chantier extraordinaire avec des découvertes allant de la Protohistoire jusqu’à la Première Guerre Mondiale.
Ces expériences m’ont permis au fur et à mesure d’acquérir des compétences aussi bien sur le terrain que pour la phase d’étude. J’ai ainsi pu exercer des postes de responsable d’opérations (ancienne dénomination de responsable de recherches archéologiques) sur des diagnostics et sur une fouille en Champagne-Ardenne. En 2014, j’ai obtenu un CDI à l’Inrap, un institut qui nous donne l’occasion de réaliser des fouilles aux quatre coins de la France et de mener des projets variés. C’était pour moi l’opportunité rêvée !

© Inrap
Quelles sont vos principales missions ?
Comme responsable de recherches archéologiques, je pilote un chantier sur une durée limitée. Je passe du temps sur le terrain et au bureau. Au cours de la fouille, j’explore avec mon équipe les différentes couches sédimentaires afin de récolter le maximum de renseignements et d’objets présents sur place. Une fois cette partie effectuée, j’analyse ces données et je rédige le rapport final d’opération en phase d’étude. Effectivement, il est essentiel de garder une trace de notre travail en diffusant ces informations auprès non seulement de la communauté scientifique, mais aussi du grand public. J’organise par exemple des journées portes ouvertes sur les chantiers. Elles permettent de faire découvrir à un public diversifié l’histoire de la commune et les métiers de l’archéologie.

Fouille d’un four de potier gallo-romain lors de journées portes ouvertes sur le chantier de Famars-Technopôle, Nord.
© Inrap
Rencontrez-vous des difficultés particulières dans l’exercice de votre métier en tant que femme ?
Le principal obstacle est l’équilibre à trouver entre ma vie personnelle et professionnelle. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’un problème propre à ma profession, mais d’un problème sociétal. Les femmes doivent souvent privilégier l’un des deux aspects de leur vie au détriment de l’autre. Quand l’un de mes enfants est malade, il arrive que mon conjoint pose des congés. Je ressens alors un jugement de la part de notre entourage, parce que c’est le père qui arrête de travailler et non la mère. Néanmoins, j’ai beaucoup de chance de travailler à l’Inrap, car des mesures sont mises en place pour faciliter cet équilibre. Nous pouvons demander de nous absenter quand l’école est fermée, avoir des jours pour « enfants malades », etc. Il existe en outre un dispositif de don de jours de repos pour un agent ayant à sa charge un enfant malade ou au bénéfice du proche aidant. Mon conjoint, qui travaille lui-aussi à l’Inrap, a pu en bénéficier et rester plus longtemps auprès de notre fils qui a été hospitalisé il y a quelques années. Cela nous a beaucoup touché et témoigne de la solidarité qui existe au sein de notre établissement.
Qu’auriez-vous envie de dire aux femmes qui aimeraient devenir responsable de recherches archéologiques ?
Allez-y ! C’est un métier incroyable avec un véritable esprit d’équipe que ce soit sur le terrain ou au bureau. Chacun respecte les compétences de l’autre et son individualité. J’ai parfois eu affaire à des comportements sexistes, même de façon inconsciente. Récemment, le conducteur de travaux d’un chantier de BTP, situé à proximité de l’opération que je dirigeais, s’est adressé à mon collègue masculin plutôt qu’à moi pour lui poser une question concernant le diagnostic.
Selon moi, il n’y a pas de travail réservé aux hommes ou aux femmes. Les femmes ont complètement leur place dans le monde de l’archéologie préventive, et plus précisément en tant que responsable de recherches archéologiques. Elles peuvent apporter un regard différent et bousculer les références de certains. La mixité est une vraie plus-value pour tout le monde ! De plus en plus de femmes sont aujourd’hui responsables de recherches archéologiques, alors que nous étions peu nombreuses il y a dix ans.
Au cours de ma carrière à l’Inrap, j’ai travaillé sur des opérations de diagnostics et de fouilles incroyables d’un point de vue technique et scientifique. Elles m’ont permis d’évoluer professionnellement en acquérant de nouvelles compétences dans un climat bienveillant. En 2010, j’ai participé à une fouille en tant que technicienne à Sains-du-Nord, en Hauts-de-France. Le chantier a duré cinq mois. Nous étions nombreux sur le terrain (une dizaine d’agents), mais la fouille était dense et les conditions de travail sont devenues extrêmement compliquées avec beaucoup de pluie et surtout l’offensive hivernale accompagnée de fortes chutes de neige. Malgré ce contexte, nous avons pu finaliser ce chantier à temps et mettre au jour des vestiges d’un intérêt majeur : les tombes fondatrices d’un sanctuaire gallo-romain de la fin du Ier siècle avant J.-C., caractérisé par deux fana (petits temples gallo-romains) et un temple monumental. L’entraide et le soutien mutuel de l’équipe ont été déterminants. Le responsable d’opération nous faisait confiance pour donner le meilleur de nous-mêmes, c’est ce qui a fait la force de cette fouille. Il s’est appuyé notamment sur mes compétences pour analyser les niveaux de circulation antiques.
À mon tour, j’essaye d’appliquer ce même état d’esprit en écoutant et en valorisant les qualités professionnelles des personnes qui travaillent à mes côtés afin que chacun puisse se sentir à sa place et s’impliquer dans le projet dont j’ai la responsabilité.