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La pars rustica d’une villa romaine à Salouël (Somme)
En 2008, une équipe de l’Inrap a fouillé la moitié sud de la pars rustica d’une villa gallo-romaine à Salouël, près d’Amiens, préalablement à la construction d’un lotissement. Dix ans plus tard, grâce à un projet d’extension du lotissement, l’opportunité a été donnée aux chercheurs de l’Inrap de compléter les données de la fouille initiale en explorant cette fois la moitié nord de la pars rustica.
Le site et son contexte
Salouël est une commune située dans les faubourgs d’Amiens, ville connue dans l’Antiquité sous le nom de Samarobriva et chef-lieu des Gaulois Ambiani. Le site même de la villa est distant d’environ 4 km à vol d’oiseau au sud-ouest du centre antique de Samarobriva et se trouve à 1 km au sud de la voie qui la reliait à Rouen/Rotomagus. La rivière la Selle coule à moins de 800 m au sud du site : c’est un affluent de la Somme navigable avec des embarcations à faible tirant d’eau. Le site est donc placé sous la double influence d’un centre économique urbain important et de deux voies de communication et d’échanges. Il s’intègre par ailleurs dans un paysage péri-urbain densément aménagé, connu grâce aux prospections aériennes et opérations archéologiques récentes. On considère que l’écart moyen entre deux villae dans le secteur est d’environ 2 km.
Seule la pars rustica de la villa a pu être fouillée : la pars urbana, dont on ne sait presque rien, se trouve actuellement sous la ligne de chemin de fer Amiens-Rouen.
En 2008, la surface décapée pour la fouille était de 11 400 m² pour environ 900 structures archéologiques, tandis que l’opération de 2018 a porté sur 16 660 m² et 800 structures mises au jour. Le site a donc été fouillé sur près de 3 hectares, ce qui a permis d’appréhender cette pars rustica de façon quasiment intégrale, soit 1700 faits archéologiques.
La vie de la villa de Salouël s’étend sur quatre siècles, entre le Ier et le IVe siècle après J.-C.. Seul un fossé est daté de la période gauloise : elle intègre donc le modèle des villae créées ex nihilo, après la conquête romaine (par opposition à celles qui reprennent des établissements préexistants de la période gauloise).
Création et premiers développements de la villa aux Ier-IIe siècle après J.-C.
Au Ier siècle après J.-C., dans une période s’étalant sur les règnes d’Auguste et de Tibère, les premières traces d’une occupation pérenne du site se présentent sous la forme d’un long fossé rectiligne et de lambeaux parallèles d’autres fossés. S’y ajoute une longue palissade montée sur poteaux qui vise, peut-être, à guider l’accès au site par le nord via une interruption ménagée dans l’un des fossés. Du fait des aménagements qui vont succéder et de l’usage de matériaux de construction légers, aucun bâtiment de cette période n’a été conservé et nous ne connaissons pas la structuration de l’espace interne de la villa. Néanmoins, il est acquis qu’un espace vide central, la cour, est ménagé dès le début, suivant un axe est-ouest qui guidera les aménagements tout au long des quatre siècles d’existence des lieux.
Deux sépultures à incinération liées à cette première phase d’occupation ont été mises au jour dans le cadre de la campagne de fouilles 2018. Elles occupent une place traditionnelle, reléguées aux abords de l’occupation.
Sous le règne de Claude, les fossés de la période augusto-tibèrienne de la partie sud sont remplacés par un nouveau système, tandis qu’au nord ils sont conservés et servent d’appuis aux nouveaux fossés. Des systèmes d’enclos font nettement leur apparition et l’on trouve les premières traces de construction sous la forme d’un cellier et d’un petit bâtiment sur poteaux. Mais ils constituent les seules traces du bâti de cette phase.
Un pendant de harnais de cheval en alliage cuivreux, Ier siècle de notre ère.
© Stéphane Lancelot, Inrap
Masque à visage de grotesque, peut-être issu d’un brasier, Ier siècle ?
© Stéphane Lancelot, Inrap
Le site au IIIe siècle.
©Erick Mariette, Inrap
A la période flavienne, on observe un second stade de développement du réseau fossoyé, en symétrie autour de la cour et s’appuyant partiellement sur le préexistant. Des accès au centre de la cour sont matérialisés au nord et au sud par deux fossés bordant un probable chemin. À nouveau, les élévations en matériaux périssables ont disparu et l’on trouve peu de traces des divers aménagements qui devaient être présents autour de la cour. Seules ont survécu des structures excavées : des celliers ou des caves, ainsi que deux puits.
Le temps des constructions sur solin de craie (IIe-IIIe siècle après J.-C.)
Une large période aux IIe-IIIe siècles introduit un changement radical des techniques de construction. Si une partie des fossés est conservée, notamment ceux qui bordent les accès sud et nord, le fossé délimitant l’espace de la cour est comblé et remplacé par des murets. Les accès latéraux ainsi que l’ouverture dans le muret ouest menant à la pars urbana sont surmontés de porches montés sur poteaux. Mais ce qui différencie réellement cette période de la vie du site des précédentes est la construction de bâtiments sur fondations de craie damée. De ces bâtiments ne subsistent que les fondations et quelques rares lambeaux d’élévations. Tous les niveaux de sols ont disparu mais, grâce à la stratigraphie, il est possible de distinguer deux états de construction.
La maison du villicus et ses deux états de construction.
Photos aériennes © Vision Drone ; Plans ©Erick Mariette, Inrap
Un bâtiment atypique en fond de cour.
© Erick Mariette, Inrap
Un manche de canif à figuration d’Éros, IIe-IIIe siècle.
© Stéphane Lancelot, Inrap
Un bâtiment en particulier retient l’attention par ses puissantes fondations de plus d’un mètre de large et 40 cm d’épaisseur. De telles maçonneries suggèrent le support d’une bâtisse imposante, probablement à étage(s). Ses caractéristiques typologiques et sa situation proche de la pars urbana amènent à supposer qu’il pourrait s’agir de la maison d’habitation du villicus, l’intendant de la villa. Cette maison est rasée à un moment qui reste à préciser et un second état de construction vient réutiliser, au moins partiellement, les puissantes fondations préexistantes.
Le fond de cour, situé à l’est du site connait lui aussi des aménagements en dur, notamment sous la forme d’un grand ensemble de plan carré, très atypique. Il s’agit d’un enclos partiellement ceint d’une galerie sur deux bords. Les fondations de cette bâtisse reposent en grande partie sur des poteaux. Ces poteaux témoignent soit d’un premier état de construction, soit d’un mode de construction sur pilotis permettant de stabiliser les murs à venir sur un terrain tufeux, plus mou et instable que celui que l’on rencontre sur le reste du site. Un épisode orageux lors de la fouille a d’ailleurs montré la vulnérabilité aux intempéries de ce secteur, installé dans la partie basse du site.
C’est également à cette période des IIe-IIIe siècles que l’on peut attribuer l’une des découvertes les plus remarquables de la fouille de 2018 : les fragments d’une statue de Jupiter à l’Anguipède, pris dans la masse d’un petit édicule de craie installé en plein milieu de la cour. Les reliquats du monument ici mis au jour sont constitués d’un buste, d’un morceau de jambe et d’une tête de cheval harnachée ainsi que d’un fragment de fut de colonne et d’un autre d’embase. Leur position stratigraphique suggère fortement qu’ils appartiennent à un premier monument détruit puis remplacé par un second.
Un retour à la construction en matériaux périssables (IVe siècle après J.-C.)
A la fin du IIIe siècle, les fossés sont bouchés et table rase est faite des constructions en dur, remplacées par des constructions sur poteaux calés. L’orientation est-ouest est globalement conservée, bien que de façon moins rigoureuse. La construction de ces poteaux est soignée et se fait de façon opportuniste en récupérant les matériaux des bâtiments : tuiles, blocs de pierre, et probablement bois de charpente.
On assiste donc à un changement technologique radical, observé dans la plupart des sites ruraux en Picardie, et généralement corrélé aux invasions barbares de la fin du Haut-Empire. On pourrait l’assimiler de prime abord à une régression, mais le nombre de bâtiments, les dimensions de certains d’entre eux et le soin apporté à ces constructions prouvent que la villa n’est alors pas en phase de déclin. On note tout de même que la moitié nord du site offre un plan plus nuancé pour cette époque, avec des bâtiments moins nets : cet état de fait est dû à une érosion différenciée avec le sud et aussi au fait que nombre de poteaux, calés avec des éléments de démolition, sont installés dans une couche elle-même chargée d’éléments de démolition, compliquant le travail de lecture du terrain pour les archéologues. Il n’en demeure pas moins que ces bâtiments sur poteaux du IVe siècle ne chevauchent pas les anciens bâtiments sur fondations de craie. Ainsi, même si la récupération de matériaux tend à prouver qu’ils sont détruits, nous ne savons pas quelle place occupe leurs ruines dans le paysage et il n’est pas exclu qu’elles continuent à trouver un usage dans la vie de la villa.
Ce dernier état fin IIIe- IVe siècle est le seul pour lequel a été mise au jour une vraie nécropole qui a été fouillée en 2007 dans le cadre d’une autre opération archéologique et qui a livré les restes de dix-neuf individus. En 2018, seule une sépulture à inhumation a été mise au jour, très mal conservée et non datée. Avec les deux sépultures à incinération de la période augustéenne, vingt-deux tombes ont donc été découvertes pour quatre siècles d’occupation.
Recherches archéologiques : Inrap
Prescription et contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie, Drac Hauts-de-France
Responsable scientifique : Pierre-Yves Groch, Inrap