À l'occasion de travaux d'aménagement d'une nouvelle ligne de tramway, deux fouilles de l'Inrap permettent de mieux cerner les phases d'aménagements successives et le système de voirie de l'ancien faubourg ouest de Strasbourg (quartier Gare), du Haut-Empire aux temps modernes.

Dernière modification
07 avril 2021

La construction d’une nouvelle ligne de tramway en direction du faubourg de Koenigshoffen a donné lieu à un certain nombre de prescriptions de fouilles archéologiques préventives à la suite des diagnostics réalisés par Archéologie Alsace. Deux interventions concernant le quartier Gare, rue du Faubourg National et place Sainte-Aurélie/rue de Rosheim, ont été attribuées à l’Inrap. Ces opérations ont concerné, pour la première, le décapage de la plateforme de circulation du tramway rue du Faubourg National (5000 m²) ainsi que le suivi stratigraphique des déviations du réseau d’assainissement et pour la seconde, le réaménagement de surface de la place Sainte-Aurélie (525 m²).


Une grande nécropole suburbaine 

Les deux opérations sont implantées dans l’ancien faubourg ouest, en limite de la terrasse lœssique dite de Schiltigheim et à la jonction (à l’est) avec la zone alluviale ancienne en rive gauche de l’Ill. La zone urbaine concernée est, de par sa topographie, en surplomb par rapport à l’ellipse insulaire et considérée comme une des aires d’occupation non inondables les plus anciennes actuellement reconnues sur le territoire de la vieille ville, ce qu’ont montré entre autres des vestiges datés du Néolithique et de la Protohistoire découverts lors de fouilles précédentes dans ce secteur. C’est seulement à partir de la période antique et l’installation du camp légionnaire dans l’ellipse insulaire, que l’occupation du secteur s’est concrètement organisée autour de l’axe de sortie du camp qui depuis l’actuelle Grand’Rue rejoignait le vicus de Koenigshoffen. Autour de cette voie s’est développée, du Ier siècle au haut Moyen Âge, une grande nécropole suburbaine qui s’étendait des abords de l’Ill jusqu’à l’entrée du vicus. Avec la christianisation, cette vaste nécropole s’est accompagnée de la fondation hors les murs d’au moins une première église, dédiée à Saint-Michel, attestée par les textes seulement à partir de la fin du VIIIe siècle, mais que l’on suppose néanmoins plus ancienne et antérieure à l’abandon probable vers la fin du VIIe siècle de l’aire funéraire extra muros. Cette chapelle détruite au XVIIIe siècle n’a pas encore été retrouvée et sa localisation reste encore à confirmer. Un second édifice dédié à Saint-Maurice, a été fondé un peu plus tard à l’emplacement de l’actuelle église Sainte-Aurélie et cité une première fois en 801, avant d’adopter au cours du Xe siècle cette seconde appellation.

L’Antiquité et le haut Moyen Âge (place Sainte-Aurélie)

Des indices d’une occupation diffuse et indéterminée au Haut-Empire
Le Haut-Empire est représenté par une fosse découverte au diagnostic et par de nombreux trous de piquet à l’organisation énigmatique, dont un seul a livré de la céramique du IIe siècle. Ces découvertes valideraient l’existence d’îlots d’habitat en limite de la nécropole antique.

Des sépultures du Bas-Empire
En complément de la sépulture datée du IIIe ou IVe siècle trouvée lors du diagnostic, la fouille a mis au jour trois autres inhumations également datées du Bas-Empire (datation radiocarbone). Ces trois inhumations, dont deux sont superposées, s’inscrivent dans un même espace réduit. Deux d’entre elles ont livré des indices de contenant en bois (clous et traces ligneuses), mais aucun mobilier funéraire d’accompagnement.

Une occupation alto-médiévale identifiée mais qui reste très lacunaire
Deux fosses à la fonction indéterminée dateraient du VIIe siècle. L’intérêt de ces découvertes est d’attester une occupation civile, probablement un habitat, dans un secteur dont la vocation principale a été funéraire au moins jusqu’au VIIe siècle. Il est probable que la fondation supposée au haut Moyen Âge des églises Saint-Michel et Saint-Maurice (Sainte-Aurélie) ait poussé des habitants à s’installer à proximité des lieux de culte.


Du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siècle (rue du Faubourg National)

Les observations stratigraphiques témoignent de l’émergence d’un quartier civil à partir du XIIe siècle, avec la présence d’un axe de voirie et de deux fossés urbains. Le premier de ces fossés, comblé dans la première moitié du XIIe siècle, est antérieur à la voie qui s’installe en partie dessus.
La voie en graviers, datée vers 1150, a été observée à plusieurs endroits dans la partie est de la rue. Elle semble présenter une légère courbure et avoir une orientation légèrement différente de la rue actuelle. Sa largeur est estimée autour de 15 m, et vu son épaisseur relativement faible, elle n’a été en service que peu de temps. On peut penser qu’elle se poursuit plus à l’est en direction de l’Ill et probablement pour rejoindre le tronçon de voie, cette fois en bois, observé lors de la mise en place de la ligne de tramway en 1998-2000, également daté par le radiocarbone autour de 1150.

Détail de la voie et de ses ornières.

Détail de la voie et de ses ornières.

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 Richard Nilles, Inrap


La grande voie antique que l’on pensait pouvoir identifier dans la rue du Faubourg National n’a en aucun cas été reconnue et devait donc se situer un plus vers le nord.
Un second fossé a été découvert du côté sud de la rue uniquement lors de la déviation de réseaux. Son orientation ainsi que sa largeur n’ont pu de fait être précisées. Profond de 3,50 m et colmaté de sédiments souvent organiques et argileux, son origine reste à préciser. Deux états ont été identifiés ; le second correspond à une réduction du gabarit après colmatage de la partie profonde d’origine (1 m de hauteur) et à l’aménagement de parois en bois (planches et pieux). Une datation dendrochronologique a été réalisée et livre une datation autour de 1250 pour ce second état.

Le bas Moyen Âge et le XVIe siècle (place Sainte-Aurélie, rue du Faubourg National)

Un îlot d’habitations disparu avant la fin du XVIe siècle
La place Sainte-Aurélie a livré un bâtiment construit en briques jaunes digitées, doté de 2 caves mitoyennes et sensiblement identiques. Sa longueur est-ouest approche 9,70 m pour une largeur indéterminée mais supérieure à 3,60 m (limite d’intervention). Le fond de cave a été reconnu et consistait en un sol en terre lœssique damé. Une niche logée dans la façade nord ainsi qu’une partie de la cage d’escalier situé à l’extérieur et le long de façade est ont également été reconnues.
Partant de la typologie des briques mises en œuvre il s’agirait d’une construction datant du bas Moyen Âge. Le comblement suivi de l’abandon a par ailleurs été daté par le mobilier et s’établirait dans le courant du XVIe siècle. Il est probable que cet édifice a volontairement été rasé dans le cadre des travaux de fortification qui ont touché cette zone à partir du XVIe siècle et surtout au XVIIe siècle (soit une zone de défense libre de constructions à l’arrière du mur d’enceinte).

Deux très grandes fosses pourraient correspondre à d’anciennes caves dont les murs auraient été démontés. D’importantes quantités de matériaux de démolition comblaient ces structures et le mobilier céramique découvert indiquerait également un abandon au plus tard dans le XVIe siècle.
Trois bâtiments sous-cavés en briques ont été reconnus rue du Faubourg National. Ces structures qui dateraient également du bas Moyen Âge délimitaient le front de rue à cette époque. Ils auraient été endommagés par les bombardements de 1870.

La période moderne (place Sainte-Aurélie, rue du Faubourg National)

Sur la place Sainte-Aurélie ont été reconnues huit fosses de petit gabarit et à fonction indéterminée ainsi qu’un sol induré, ponctuellement conservé et probablement associé à la présence d’un chemin ou passage. L’occupation s’avère disparate et non structurée, ce qui n’étonne pas pour ce secteur proche des défenses urbaines, ce qu’attestent également les plans de ville des XVIIIe et XIXe siècles.

Rue du Faubourg National seuls d’importants remblais très hétérogènes ont été observés sur la totalité du tracé. Ils caractérisent un exhaussement général d’au moins 1 m. Aucun autre vestige n’a été mis en évidence et étonnamment aucun aménagement de voirie (pavés ou autres) antérieur au XIXe siècle. On peut rappeler qu’à partir de la fin du XIVe siècle et la construction de l’enceinte, la rue du Faubourg National perd son statut d’axe de sortie de ville et devient alors une simple rue au travers d’un quartier faiblement occupé et périphérique.

Aménagement : Eurométropole de Strasbourg - Compagnie des transports strasbourgeois (CTS)
Recherche archéologique : Inrap
Reponsable d'opération : Richard Nilles