À Blainville-sur-Orne, l’aménagement de la ZAC « Terres d’Avenir », a conduit au décapage et à la fouille d’une aire de 30 000 m2 qui a livré des vestiges de l’âge du Bronze jusqu’au Haut-Empire (Antiquité gallo-romaine). Les archéologues ont notamment mis au jour un habitat et une vaste nécropole de l’âge du Fer. De quoi mieux comprendre l’évolution du peuplement dans ce secteur nord de la Plaine de Caen.

Dernière modification
20 juillet 2023
Événement ce week-end, les 21 et 22 mai 2022, au parc du château de Bénouville, où les archéologues restitueront au public les principaux résultats de cette fouille. Plus d'infos
Vue aérienne du secteur de fouille (site n°2).

Vue aérienne du secteur de fouille (site n°2).

 © Olivier Morin, Inrap

 

Un site sur les rives de l’Orne, occupé de la Préhistoire à l’Antiquité

Les premières traces de présence humaine sur la ZAC « Terres d’Avenir » sont matérialisées par une industrie lithique datée, pour les pièces les plus anciennes, du Paléolithique. La plupart des artefacts témoignent d’une fréquentation de ce plateau de la rive gauche de l’Orne au Néolithique moyen.

L’âge du Bronze est documenté par une série de fossés circulaires à vocation funéraire ; le plus ancien d’entre eux accueille au sein de son comblement deux sépultures à inhumation, dont l’une est datée du Bronze ancien. Cette structure est très probablement contemporaine de l’enceinte elliptique fouillée non loin de là, dans un autre secteur de la ZAC « Terres d’Avenir » (site 1).

Le premier âge du Fer est marqué par l’inauguration d’une vaste nécropole, comptant parmi les plus importantes de la Plaine de Caen. En marge de cet espace funéraire, les archéologues ont mis au jour des fossés parcellaires et un bâtiment à vocation agricole, datés des VIe-Ve siècles av. J.-C. À partir du Ve siècle, une trame viaire, dont la mise en place remonte peut-être à l’âge du Bronze, se développe, participant à la structuration du territoire.

Four domestique mis au jour dans l’habitat de l’âge du Fer.

Four domestique mis au jour dans l’habitat de l’âge du Fer.

© Olivier Morin, Inrap

Au second âge du Fer, un ensemble d’enclos ceinturés de fossés voit le jour et s’étoffe peu à peu, suivant un schéma d’organisation qui reprend, au fil des siècles, les limites spatiales établies par les générations antérieures. Au IIIe siècle avant notre ère, ces enclos domestiques intègrent de nombreuses fosses de stockage très caractéristiques, qui témoignent d’une intense activité agricole. Au début du IIe siècle avant notre ère, l’habitat subit une restructuration importante, avec la création d’un vaste enclos doté de deux cours accolées et d’un fossé de partition médian. Les axes viaires sont re-calibrés, une allée monumentale est aménagée. L’occupation de l’établissement agricole se maintient pendant plusieurs dizaines d’années, prospérant de génération en génération.

Four domestique mis au jour dans l’habitat de l’âge du Fer.

Four domestique mis au jour dans l’habitat de l’âge du Fer.

© Olivier Morin, Inrap

Au début du Ier siècle de notre ère, un vaste domaine du Haut-Empire occupe les lieux. Il est délimité par un fossé quadrangulaire qui s’aligne en partie sur l’allée monumentale de l’âge du Fer. Des structures à vocation artisanale (puits, structures de combustions, etc.) sont aménagées. La demeure, qui livre un important lot de céramiques, se développe en dehors de l’emprise de fouille. Son organisation spatiale ignore les formes de l’habitat précédent, signant la rupture avec le monde gaulois.


 

Des graines, des ossements animaux, des coquillages… et des lingots !

Des études de carpologie ont été menées sur les restes végétaux recueillis dans les fosses de stockage des enclos domestiques du second âge du Fer. Elles indiquent que les Gaulois pratiquaient à Blainville la culture de l’orge vêtue, du millet commun, du blé nu et de l’amidonnier et produisaient des légumineuses (pois, féverole).

Les restes de faune ont également été étudiés (archéozoologie), permettant de préciser quel type d’élevage était pratiqué. Les populations de bovins, caprinés et suidés (cochons…) sont, par ordre d’importance, les plus représentées.  En outre, dans le comblement d’un angle de fossé d’enclos, des carcasses de porcs et de moutons en connexion, dépourvues de traces de découpe, ont été découvertes, ce qui interpelle les spécialistes. S’agirait-il d’un dépôt volontaire et structuré, comme il en a déjà été rapporté à maintes reprises dans la plaine de Caen, pour cette période ? Ou d’un simple rejet d’animaux morts ?

Des études en malacologie ont démontré que la consommation de coquillages était une composante importante du régime alimentaire, au moins à partir du IIIe siècle avant notre ère. Pas moins de 33 espèces d’invertébrés ont été recensées, la moule est la plus représentée pour le second âge du Fer ; le produit de la pêche concerne aussi les coques, les huîtres, les scrobiculaires et, au Haut Empire, la spisule.
 

Exemples de coquillages trouvés sur le site de l’âge du Fer et étudiés par la malacologue.

Exemples de coquillages trouvés sur le site de l’âge du Fer et étudiés par la malacologue.

© Caroline Mougne

Enfin, la fouille a livré un abondant mobilier métallique, composé de 250 fragments d’objets, plusieurs monnaies et quelques rares scories (déchets d’activité métallurgique). Ces objets témoignent de la pratique d’activités agropastorales (serpettes, socs d’araires, …) et artisanales, telles que la forge – illustrée par deux currency-bars (produits demi-finis) – ou encore le travail du cuir. La vie quotidienne est esquissée par la découverte d’une fourchette à chaudron et de quelques lames de couteaux. Les parures personnelles (bracelets, fibules, …) complètent l’inventaire. On note aussi la présence d’une agrafe de ceinture et d’un umbo (pièce de bouclier), rares témoignages de la sphère militaire.

À lui seul, le mobilier issu de la nécropole compte 167 objets d’accompagnements dont 101 pièces en alliage cuivreux. Mais le fait le plus marquant est la découverte, à l’angle d’un fossé d’enclos, d’un lot exceptionnel de 29 lingots en argent, or ou alliage cuivreux (fragments centimétriques de tiges circulaires), datés d’environ 50-30/20 ans avant notre ère. Quelques cas similaires ont déjà été signalés, notamment en Normandie, pour la même période. L’usage de ces lingots s’inscrivait, à titre d’hypothèse, dans des transactions paramonétaires.

Ensemble de lingots en métaux précieux.

Ensemble de lingots en métaux précieux.

© Emmanuelle Collado, Inrap

Comparable aux établissements de Fleury-sur-Orne, Ifs ou Bretteville-l’-Orgueilleuse, le site de Blainville-sur-Orne constitue un nouvel exemple d’un grand établissement agricole tels qu’il s’en développe dans la Plaine de Caen au Second âge du Fer. Son étude permet de préciser les grandes séquences d’occupations humaines des plateaux riverains de l’Orne et de comprendre l’évolution de ce terroir, de la Préhistoire au Haut-Empire.

Fibules (objets de parure).

Fibules (objets de parure).

© Emmanuelle Collado, Inrap


La découverte inattendue d’une nécropole de l’âge du Fer

La fouille a aussi conduit à la découverte imprévue d’une vaste nécropole de l’âge du Fer, en usage durant près de 300 ans (de 540 à 250 ans avant J.-C.). Le mode funéraire le plus observé est l’inhumation. Toutefois, la mise au jour de quelques sépultures secondaires à crémation, datées du IVe siècle avant notre ère, confirme la coexistence des deux pratiques funéraires : l’inhumation et l’incinération. La nécropole, bien qu’étudiée sur une large surface, se poursuit vers le nord en dehors de l’emprise de fouille. Ce vaste ensemble funéraire a livré 121 sépultures à inhumations, 6 sépultures secondaires à crémation (incinérations) et deux enclos funéraires : l’un de forme carrée (10 mètres de côté), l’autre rectangulaire (10 m x 13 m). Les restes humains sont retrouvés autour des enclos, à l’intérieur ou encore dans le comblement des fossés délimitant les enclos.
Tous les individus, quel que soit leur âge, ont accès à ce lieu de sépulcre. Si les sujets adultes (hommes et femmes) sont les plus nombreux (57,5 %), les enfants âgés de moins de 1 an sont les moins représentés. Il est possible que les nourrissons aient bénéficié d’un espace funéraire distinct.

Dans le cas des inhumations, les corps ont été déposés principalement dans un cercueil ou dans un coffrage aménagé au fond d’une fosse. La plupart des défunts ont été enterrés sur le dos ou sur le côté, avec leurs vêtements et parfois leurs bijoux en métal (torques, bracelets, fibules, anneaux), comme il est d’usage pour cette période. Les sépultures secondaires à crémation (incinérations) sont mal conservées. Elles semblent constituées d’un simple ossuaire en céramique, sans mobilier d’accompagnement. L’étude anthropologique a été complétée d’une étude des isotopes du carbone et de l’azote présents dans le collagène osseux et donnant des indications sur le régime alimentaire des personnes défuntes.

Par son ampleur, la nécropole de Blainville-sur-Orne s’apparente aux importantes nécropoles de la Plaine de Caen, comme celle d’Eterville (« Le clos des Lilas ») ou d’Ifs (« Object’Ifs Sud »). Son étude vient compléter les données antérieures, notamment celles concernant la pratique de l’incinération, particulièrement mal documentée pour la période gauloise.

Lot de bracelets en alliage cuivreux portés par les défunts.

Lot de bracelets en alliage cuivreux portés par les défunts.

© Emmanuelle Collado, Inrap

Aménagement : FONCIM
Contrôle scientifique : Service Régional de l’archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Roland Le Guévellou (site 2), Inrap
Responsable de secteur/Anthropologue : Sylvie Pluton-Kliesch, Inrap