Identifiant Scald invalide.
Vous êtes ici
Un moulin à bêtes et une case de travailleurs post-abolition (après 1848) aux Trois-Îlets (Martinique)
Aux Trois-Îlets, sur le site de l’habitation Château Gaillard, une équipe de l'Inrap a fouillé un bâtiment en ruine et ses abords et mis au jour les vestiges d'une case de travailleurs transformée en boutique d'habitation (XIXe siècle) ainsi que d’un vaste moulin à bêtes destiné à broyer la canne à sucre, daté du XVIIIe siècle, le premier fouillé en Martinique.
Déjà figurée sur la carte des Ingénieurs du Roi, dressée par Moreau du Temple en 1770, l’habitation, portant alors le nom de son propriétaire « Audifredy » présente un plan très différent des bâtiments toujours en élévation de nos jours. On distingue (en rouge) les bâtiments maçonnés formant la maison de maître, ses dépendances implantées sur le morne ainsi que plusieurs bâtiments relatifs à l’industrie sucrière comme un moulin à bêtes figuré par un cercle et quatre traits rayonnants noirs. À l’ouest, on perçoit trois grands bâtiments rectangulaires, peut-être la sucrerie, la purgerie, l’étuve et les entrepôts. Plus à l’ouest, on retrouve le quartier servile organisé en plusieurs rangées, bâtiments sur poteaux porteurs en matériaux périssables. L’habitation est toujours présente en 1785 sur le routier de la Martinique et mentionne une organisation tout à fait semblable.
L’état actuel des bâtiments de l’habitation semble pouvoir être attribué au XIXe siècle. En 1855, l’habitation Audifredy (bâtiments & domaine) est vendue à la famille Hayot. On y retrouve la maison de maître, dominant le morne au nord puis plus au sud, six bâtiments se répartissant de part et d’autres du chemin d’accès au site. À l’est, on trouve l’écurie puis deux bâtiments perceptibles aujourd’hui seulement par la présence de pavages au sol et de lambeaux de murs, puis à l’ouest, on retrouve le bâtiment des domestiques, le garage et enfin le bâtiment objet de la présente prescription. À l’extrême sud du morne, un long bâtiment allongé correspond à la sucrerie.
Un moulin à bêtes du XVIIIe siècle
La découverte la plus importante de cette opération est la mise au jour des vestiges d’un vaste moulin à bêtes installé en rupture de pente du morne et aujourd’hui partiellement conservé sous le chemin d’accès à l’habitation. Ce bâtiment circulaire en architecture mixte mesure environ 15 m de diamètre. Il se compose de deux murs en moellons de roches métamorphiques liés au mortier de chaux enchâssant des poteaux en bois de section circulaire ou quadrangulaire servant de fondation mais supportant également la charpente de l’édifice.
Les animaux, bœufs ou mulets, actionnaient par leur circulation entre les deux murs les rolls (rouleaux de bois cerclés de fer) destinés à broyer la canne à sucre. Le vesou, jus de canne, s’écoulait alors dans un canal maçonné en direction de la sucrerie afin d’y être transformé par cuissons et évaporations successives en pains de sucre. Le canal est ici maçonné en briques et le conduit est aménagé à l’aide de tuiles canal. L’ensemble est couvert par une rangée de briques liées par un mortier hydraulique en assurant l’étanchéité. Le canal partant vers l’ouest, prend appui sur un mur de terrasse bâti après la construction du moulin. La périphérie du moulin est pavée par des blocs de roches métamorphiques.
"Modèle d'un moulin à bêtes" d'après Philippe Fermin dans Description générale, historique, géographique et physique de la colonie de Surinam paru en 1769, New York Public Library
Une case de travailleurs post-abolition (après 1848)
Au XIXe siècle, l’habitation semble évoluer. Avec la révolution industrielle dans les années 1820-1830 et la modernisation des appareils de production, l’industrie sucrière aux Antilles va se métamorphoser. Rendus obsolètes par l’introduction des machines à vapeur, les moulins à bêtes ou moulins à vent disparaissent des habitations. Avec l’abolition de l’esclavage en 1848, la constitution sociétale au sein des habitations change également. Les travailleurs agricoles changent de modes de vie et habitent souvent en dehors du domaine où ils travaillent. L’habitation Château Gaillard, changeant de nom lors de son rachat en 1855, ne déroge pas à la règle. Un bâtiment servant de cases de travailleurs saisonniers, plus précisément pour les coupeurs de canne (récolte de février à juin), est élevé dans l’emprise fouillée (Fig. 9). De plan rectangulaire, les fondations du bâtiment sont simplement posées sur le substrat géologique en place et prend appui sur le mur de terrasse du XVIIIe siècle. La façade est témoigne d’une maçonnerie en moellons de roches métamorphiques liés au mortier de chaux, les piédroits des baies sont aménagés en briques de la porterie voisine (Fig. 10). Les observations menées à l’intérieur du bâtiment témoignent d’une division en trois de l’espace, corroborée par le rythme visible en façade alternant une porte et une fenêtre pour chaque division. Les sols, en terre battue ou en plancher de bois, n’ont malheureusement pas été conservés.
Au début du XXe siècle, ce bâtiment est réaménagé. L’intérieur est remanié en un espace unique et accueille un pavage de roches métamorphiques. Les très nombreuses monnaies mises au jour lors de l’opération et datées de la première moitié du XXe siècle ainsi que les bouchons de boissons, des bouteille d’eaux, sodas, alcool (Fig. 11) et autres éléments mobilier témoignent d'une utilisation du bâtiment comme boutique d’habitation. Mis en place dans la seconde moitié du XIXe siècle, ce type de boutique permet aux travailleurs et ouvriers des habitations et usines d’acquérir de nombreux éléments de consommation. Cette économie locale basée sur l’utilisation du « caïdon », jeton de métal ou de papier portant les initiales de l’habitation, permet de monopoliser le marché, cette monnaie n’étant utilisable que dans la boutique de l’habitation l’émettant.
Les recherches en archives ainsi que les analyses des différents éléments du mobilier archéologique vont permettre d'affiner bon nombre d'informations sur cette habitation peu connue. L'architecture aux Antilles demeure mal connue et l'utilisation de bois en provenance d'Amérique du Nord semble se confirmer d'après les recherches archivistiques et les premières déterminations d'essence sur d'autres sites. Les prélèvements de quatre poteaux en bois, correspondant au moulin à bêtes, devraient pouvoir être datés et leur essence déterminée. L'étude de la céramique, du verre et du mobilier métallique permettra de préciser les datations de chaque phase d'occupation du site mais également de caractériser son utilisation. À noter qu'il s'agit du premier exemple de moulin à bêtes du XVIIIe siècle fouillé en Martinique.
Contrôle scientifique : Service régional de l’Archéologie - DAC Martinique
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Alexandre Coulaud, Inrap