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Découverte du plus ancien sanctuaire d'Arabie : la structure en os de dugong de l'île d'Akab
La mission archéologique française aux Emirats arabes unis, composée de chercheurs du CNRS et de l'Inrap, et le musée de l'émirat d'Umm al-Quwain (EAU) viennent de mettre au jour le plus ancien sanctuaire d'Arabie (3500-3200 av. notre ère), mais aussi le plus ancien site rituel connu dédié à un mammifère marin très particulier, le dugong (Dugong dugon). Ces résultats viennent d'être publiés dans la revue internationale Antiquity.
Situé aux Emirats arabes unis, sous le détroit d'Ormuz, le sanctuaire d'Akab daté de 3500 av. notre ère, apporte aujourd'hui les premiers éléments sur les rituels des sociétés côtières préhistoriques du Golfe.
Akab, un village de pêcheurs entre 4700 et 4100 av. notre ère
Une structure en os de dugong (3500-3200 av. notre ère)
Sondé au début des années 1990, « l'amas de dugongs » d'Akab fut interprété comme une aire de boucherie de vaches marines. Reprise entre 2006 et 2009 par une nouvelle équipe de préhistoriens et d'archéozoologues de la mission française, la fouille révèle alors qu'il ne s'agit pas d'une accumulation d'ossements sans organisation mais d'une « structure aménagée » dont la construction s'est faite par étapes. Une datation carbone 14, réalisée directement sur os de dugong permet de l'attribuer à la deuxième moitié du IVe millénaire avant notre ère (5140 ± 55 BP. 3568-3116 av. notre ère).
La structure est complexe et prend la forme d'une plateforme ovoïde de 10 m2 environ et de 40 cm de haut. Elle regroupe les restes d'une quarantaine de dugongs au moins.
Le niveau supérieur était structuré par deux rangées de crânes tournés vers l'est, une troisième rangée de crânes avec la même orientation bordant la structure au nord. Tous les crânes étaient soigneusement calés, avec le prémaxillaire profondément fiché dans la partie basse de l'aménagement et un calage de côtes, souvent doublées, voire triplées, tout autour. Des brassées de côtes étaient déposées juste devant la première rangée de crânes à l'est.
Le niveau inférieur de la plateforme était presque entièrement imprégné d'une solution ocrée qui a rubéfié les couches d'ossements et le sédiment naturel. Ce niveau se caractérise par la présence de mandibules de dugongs posées à plat, et dans certaines zones, empilées sur plusieurs couches.
Les juvéniles, y compris de très jeunes dugongs, sont bien représentés dans l'amas. On observe aussi qu'aucun animal n'a été déposé entier dans la structure, de même qu'aucun quartier important. De plus, certaines parties anatomiques, comme les côtes, vertèbres ou membres, sont en net sous effectif, ce qui témoigne d'une sélection intentionnelle. Le dépôt de portions d'animaux à l'état frais est certifié par la présence de membres en connexion. Aujourd'hui, les os présentent les stigmates d'une longue exposition au soleil et au vent.
Le mobilier du sanctuaire
Akab, un sanctuaire marin
Tous ces éléments indiquent que l'aménagement et l'utilisation du monument d'Akab répondaient au IVe millénaire à des règles précises. L'ensemble concourait à une mise en scène à la fois spectaculaire et ritualisée d'un grand mammifère marin, et on ne peut qu'être frappé par le fait que les crânes de dugongs sont, à Akab, orientés plein Est, à l'image des défunts de certaines nécropoles néolithiques comme celle de Jebel al-Buhais 18 (émirat de Sharjah, UAE). Cette mise en scène évoque aussi celle de la tortue verte (Chelonia mydas) dans la nécropole de Ra's al-Hamra 5 (sultanat d'Oman), contemporaine du monument d'Akab, avec des crânes posés près du visage du défunt ou sur sa tombe, et des dépôts d'éléments de carapace sur le corps.
Unique au Moyen-Orient, le monument d'Akab n'a aucun parallèle au Néolithique dans d'autres parties du monde. Les seules structures comparables sont attestées sur les côtes australiennes du détroit de Torres, dans des sites rituels, les kod, mais leurs dates sont très récentes (XIVe-XXe siècles de notre ère). Comme à Akab, il s'agit d'édifices renfermant des restes de dugongs (de quelques spécimens à plusieurs centaines) et dans lesquels étaient déposés des objets (parure individuelle, outils divers, objets importés), mais aussi de la faune terrestre ou marine. Dans ce pays, le dugong est un animal « bon à penser », qui a fait, ou fait encore, l'objet de rites propitiatoires concernant les préparatifs de sa capture, le transport de sa dépouille à terre, son dépeçage et/ou sa consommation. Or ces rites sont liés à des faits totémiques, certains clans pêcheurs ayant des totems marins, comme le requin, la tortue marine ou le dugong.
L'analogie est telle entre le monument d'Akab et les amas de dugongs australiens que l'on estime hautement probable le lien avec des rites de pêche. On peut en déduire que le monument d'Akab, dont l'organisation était préconçue, qui a été construit pour durer et dont le statut était très particulier, était un sanctuaire.
Etait-il exclusivement voué à des rites en lien avec le dugong, dont la capture n'était pas sans risque, loin s'en faut, ou bien de la pêche/chasse en mer en général ? Aucun élément ne permet de le dire.
Les pêcheurs néolithiques d'Akab appartenaient-ils à une société où non seulement les croyances et les rites étaient en lien avec des animaux mais qui était fondée sur la paire totem-clan, donc sur l'exogamie ? Rien ne permet aujourd'hui de l'affirmer. Ce que l'on constate, c'est la proximité de populations côtières pourtant éloignées de plusieurs centaines de kilomètres, celles d'Akab et de Ra's al-Hamra notamment, qui partageaient culture matérielle et technologies, mais aussi des pratiques d'ordre spirituel avec certains animaux marins.
Créée en 1999, la mission archéologique française aux Emirats Arabes Unis est financée par la Sous-direction des Sciences humaines, sociales et de l'Archéologie du Ministère des Affaires étrangères et européennes.
Elle a entrepris plusieurs fouilles sur la période Néolithique et les âges du Bronze et du Fer dans différents émirats (Abou Dhabi, Sharjah, Fujaïrah, Umm al-Quwain). À Akab, la mission se compose de chercheurs du cnrs, de l'Inrap, des universités de Paris I, d'Edimbourg (Royaume-Uni), de Ravenne (Italie), et de l'Adach (Abou Dhabi).
Sophie Méry (CNRS)
Directrice de la Mission archéologique française aux E.A.U
umr 7041 du cnrs, Nanterre.
//sophie.mery [at] mae.u-paris10.fr
Vincent Charpentier (Inrap)
umr 7041, Nanterre.
01 40 08 80 16 / 06 85 43 28 87
//vincent.charpentier [at] mae.u-paris10.fr