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L’agglomération cultuelle antique d'Amel-sur-l’Étang (Meuse)
À Amel-sur-l’Étang, petite localité meusienne à l’est de Verdun, l'Inrap fouille une parcelle dont le potentiel archéologique est reconnu grâce aux campagnes de photographie aérienne menées à l’emplacement d’un vaste complexe cultuel antique. L’intervention a permis l’étude de près de 650 structures archéologiques datées de la protohistoire à l’époque contemporaine.
Un espace funéraire protohistorique
Les vestiges les plus anciens pourraient remonter à la fin du second âge du Fer. Ce sont trois dépôts de crémations qui paraissent s’inscrire dans et aux abords d’un enclos fossoyé et quadrangulaire de 6,5 m de côté. La fouille en laboratoire d’un premier dépôt a livré un amas osseux et des restes de bûcher déposés, a priori, dans un contenant périssable de type coffret. Ce dernier repose sur un tesson de céramique. Un petit anneau en fer lui est également associé. D’autres restes céramiques semblent indiquer la présence d’un paléosol (sol ancien). à l’est de cet espace sépulcral. Il pourrait être associé à une série de structures excavées appartenant à un hypothétique habitat.

Vue aérienne de la fouille accolée au village d’Amel-sur-l’Étang.
© Robin A., Inrap
L’évolution du site antique
La première phase de l’occupation (dernier tiers du Ier s. av. au Ier s. ap. J.-C.) prend la forme d’un habitat de terre et de bois. Des édifices à quatre poteaux porteurs se répartissent au niveau des cours. D’autres poteaux, observés sous certaines fondations, semblent marquer un premier état antérieur aux édifices maçonnés. Il en va de même d’une quinzaine de fosses quadrangulaires alignées. Elles matérialiseraient l’emplacement d’une palissade fonctionnant avec l’état précoce du parcellaire. Un puits et d’imposants négatifs de poteaux sont à mettre en relation avec une phase augustéenne (entre le dernier tiers du Ier s. av. J.-C. au premier quart du Ier s. ap. J.-C.).

Vue en coupe d'un poteau (633) appartenant à la phase antique précoce.
© Viller S., Inrap
La phase en dur du site antique (entre le second quart du IIe et la première moitié du IIIe s. ap. J.-C.) est connue par les campagnes de prospection géophysique menées entre 2007 et 2014, ainsi que par une série de sondages effectués en 2017. Ces données ont été exploitées dans le cadre d’un travail universitaire (Ritz 2020). Les travaux ont fait apparaitre, sur une vingtaine d’hectares, un sanctuaire périurbain associant temples, thermes, théâtre et infrastructures économiques collectives autour desquels rayonne un habitat basé sur le répertoire architectural en usage dans les campagnes de la région.

Emprise de la fouille sur fond géophysique.
Dao et traitement image : © Ritz S., Inrap
L’emprise de fouille de 2025 se situe en périphérie nord de ce complexe, à cheval sur l’emprise foncière de deux unités d’habitations basées sur le modèle de la petite villa. L’opération a permis d’étudier des portions de murs de clôture, trois caves situées à l’avant des résidences, ainsi qu’une partie des habitations elles-mêmes.

Vue de la cave (152) intégralement fouillée avec ses joints tirés au fer, ses belles marches monolithiques et le soupirail en place.
© Ritz S., Inrap

Vue d'une structure dans l’angle nord-est de la fouille.
© Ritz S., Inrap

Le bac à chaux antique confectionné au moyen de tegulae en remploi.
© Billaudeau E., Inrap
Un bac à chaux fabriqué à partir de tegulae (tuiles plates) remployées et disposées à plat marque quant à lui le changement dans les techniques de construction.

Fibule zoomorphe en forme de lièvre en alliage cuivreux, étamée et à décor niellé (18 x 22 mm x 3,6 gr). Elle est datée de la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C..
© Viller S., Inrap
Le village mérovingien
Les vestiges des Ve et VIe s. sont très denses et variés : fonds de cabanes excavées, fosses, négatifs de poteaux, solins (dispositifs destinés à assurer l'étanchéité), fossés, silos. Ils ont été reconnus sur toute l’emprise prescrite et s’agencent d’ores et déjà suivant un plan cohérent. On y perçoit une série de maisons dotées de foyers bien conservés et alignées suivant un axe est-ouest. Les négatifs de poteaux qui matérialisent les parois sont presque tous dotés de calages, dont certains sont agencés au moyen de lapidaire antique en remploi (moellons, fragments de colonnes, …). Ces édifices à une nef font 5 m de largeur par 8 m de longueur. Ils sont bordés, au sud, de grandes cabanes excavées à quatre poteaux porteurs.
La fouille a permis d’en étudier dix de façon plus ou moins exhaustive. Le travail à venir permettra d’identifier les subtilités architecturales comme la présence d’éventuels appentis et de constructions annexes (palissades, greniers…). Un silo enterré participe quant à lui aux techniques de stockage. Le mobilier associé est essentiellement domestique avec des rejets de faune, de céramique commune et fine, ainsi que d’autres objets du quotidien (couteaux, parures). Les pratiques artisanales sont attestées par quelques fusaïoles pour ce qui est du tissage, par des objets en os pour la tabletterie. Les prélèvements carpologiques permettront de déceler d’éventuelles spécificités de consommation et dans les pratiques agricoles.

Pendentif mérovingien issu de la cabane excavée 54 (64 x 72 mm x 3,6 gr). L’objet gravé sur les deux faces et muni d’un orifice de suspension est en bois de cervidé.
© Viller S., Inrap
Les aménagements de la première Guerre Mondiale
La tranchée identifiée en bordure ouest de la fouille appartient à une position fortifiée allemande : la Kriemhild-Stellung. Elle est dénommée « tranchée de l’Éléphant d’Amel » sur la carte de canevas de tir de l’armée française de 1914-1918. Son tracé est nettement visible sur la carte des prospections géophysiques. Il s’agit d’une tranchée d’arrière-front caractéristique des schémas-types tels que préconisés dans les manuels d’instruction. La fouille a montré qu’il s’agissait d’une ébauche, de faible profondeur et comblée de remblais issus du démantèlement de maisons de village (tuiles, gravats, bouteilles, céramique, métal, …). Son investigation a consisté en la réalisation de coupes mécanisées et en l’échantillonnage du mobilier sur près de 25 mètres linéaires. Cette opération a été effectuée par un spécialiste de la période, accompagné de la gestionnaire des collections de la base de Metz.
Le matériel identifié est aussi bien civil que militaire. Quelques pièces remarquables sont à signaler, comme une plaque d’identité militaire et un blindage de protection de casque allemand (un stirnpanzer). La mise au jour d’un second tracé sous le premier est également remarquable et montre tous les apports de l’archéologie préventive à la connaissance des évènements militaires récents.

Le crénelage de l’une des tranchées de la première Guerre Mondiale en plan.
© Viller S., Inrap
Perspectives de recherche
Avec plus de 600 structures archéologiques et 227 objets remarquables exhumés, la fouille menée en 2025 renouvelle amplement l’état des connaissances sur les origines et la topographie historique du village d’Amel-sur-l’Étang. La découverte d’aménagements protohistoriques revêt un caractère inédit. Elle pourrait donner un début d’explication quant à l’installation d’un grand sanctuaire sur ces parcelles. Le travail de post fouille visera à affiner la chronologie de cette occupation, par l’étude du mobilier couplée à la réalisation de datations radiocarbones. La découverte des traces d’un bâti léger et daté de l’antiquité précoce est un autre apport de cette fouille. Elle fournit un regard nouveau sur une agglomération pour laquelle les vestiges d’habitats antérieurs au début du IIe s. n’avaient jusqu’alors été reconnus nulle part.
Le hiatus observé pour l’Antiquité tardive pose également question, tout comme l’implantation d’aménagements médiévaux sur des équipements antiques totalement nivelés. Le travail à venir permettra peut-être d’y reconnaitre l’impact des incursions alamanes et franques telles que rapportées par Amien Marcellin (Res Gestae, XVI, 3-4). Des traces d’incendie identifiées sur l’agglomération voisine de Senon pourraient d’ailleurs le suggérer (l’empereur Julien pourrait avoir subi une attaque et un siège à l’occasion de son quartier d’hiver à Senon en 356-357).
Les vestiges mérovingiens marquent un changement dans le statut du site et le passage d’un grand centre cultuel gallo-romain à une communauté villageoise en devenir. À ce titre, le travail de post fouille permettra de mieux appréhender l’organisation d’un site déjà bien perçu en sortie de terrain. L’étude des mobiliers de chacune des phases reconnues enrichira les référentiels typo-chronologiques. Elle précisera les circuits commerciaux d’un espace qui, pour la production céramique antique, semble très ouvert aux productions champenoises.
Enfin, cette fouille démontre de nouveau tout l’intérêt des méthodes de l’archéologie préventive dans la sauvegarde des traces liées aux conflits récents. À cette fin, les données collectées serviront de support de discussion entre les spécialistes et historiens de la Première Guerre mondiale.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Grand-Est)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Sébastien Viller, Inrap