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L’histoire millénaire du château de Caen éclairée par les fouilles archéologiques (Calvados)
Depuis avril 2023, les archéologues de l’Inrap ont été présents au château de Caen pour accompagner l’important programme de ré-aménagement extérieur entrepris par la Ville de Caen, en amont du Millénaire.
Les services de l’État (Drac Normandie) avaient en effet demandé la mise en œuvre d’une fouille archéologique préventive dans les zones susceptibles d’être impactées par les travaux. Durant deux ans, les recherches ont livré une moisson de vestiges : vestiges mobiliers – céramique, éléments architecturaux, restes animaux – mais aussi diverses maçonneries qui renouvellent l’histoire du château. Dès les premiers mois, l’opération avait permis de mettre au jour des traces d’un quartier médiéval au sud du château, une entrée fortifiée du XIIe siècle au nord, d’anciennes carrières transformées en caves, des sépultures et des pièces rares (modillon, graffitis…). En 2024 et 2025, de nouveaux vestiges ont été exhumés, parmi lesquels : des traces d’occupation gauloise, une prison médiévale et des stigmates de la Seconde Guerre mondiale…
À l’occasion des prochaines Journées européennes de l’Archéologie (13, 14 et 15 juin), ces découvertes seront valorisées auprès du grand public.
Un espace occupé dès la Protohistoire
À l’emplacement de l’ancienne cour palatiale, les archéologues ont repéré plusieurs fosses, datées d’après le mobilier en céramique de 150 à 50 ans avant notre ère, c’est-à-dire de l’époque gauloise. Il s’agit de fosses d’habitat, que l’on retrouve en grand nombre dans la plaine de Caen, mais qui sont identifiées pour la première fois dans l’emprise de la future ville de Caen. Cette découverte témoigne d’une occupation ancienne du site, bien avant la construction du château vers 1060. Un niveau de graines brûlées a été également mis au jour : son étude par des spécialistes (carpologie) permettra de préciser le type d’agriculture pratiquée par les premiers occupants du terrain.

Fosses protohistoriques en cours de fouille.
© Frédéric Pasquier, Inrap
Une enceinte et un fossé pour protéger la tour maîtresse au XIIe siècle
Les travaux localisés au nord du château, dans l’ancien domaine des ducs de Normandie puis rois de France, ont livré des bâtiments et fortifications totalement inconnus jusque-là. À l’issue des recherches, on peut maintenant affirmer que dès le XIIe siècle, la tour maîtresse construite par le fils de Guillaume le Conquérant, Henri Ier Beauclerc, était protégé par un mur d’enceinte, large de plus de 3,50 m, doublé par un fossé. Le seul endroit par lequel on pouvait pénétrer dans le palais était une entrée fortifiée se trouvant juste à côté de l’ancienne chapelle des ducs.
C’est dans un mur servant peut-être de banquette le long de cette entrée qu’a été retrouvé un graffiti exceptionnel représentant un chevalier attaquant un dragon qui s’envole en crachant du feu. Daté du milieu du XIIe siècle, ce visuel témoigne probablement de la diffusion en Normandie, grâce à la cour Plantagenêt, des nouvelles histoires qui s’écrivent autour de la légende d’Arthur et des chevaliers de la Table Ronde.
Toute la surface présente devant le nouveau fossé et l’entrée du palais était occupée par un niveau de circulation soigneusement aménagé avec des petits galets. Cette immense cour, de plus de 7 000 m² de surface, servait également à la circulation des charrettes qui ont fini par creuser des ornières.

Enceinte : mur d’enceinte protégeant la tour maîtresse au XIIe siècle.
© Bénédicte Guillot, Inrap

Niveau de circulation composant une grande cour palatiale devant le palais.
© Frédéric Pasquier, Inrap

Graffiti représentant un chevalier poursuivant un dragon en vol, daté probablement du XIIIe siècle.
© Bénédicte Guillot, Inrap
Deux édifices imposants : un entrepôt et une prison
À la même époque (XIIe siècle), deux édifices imposants étaient présents l’un devant l’autre dans la partie nord-est du château, à proximité de l’enceinte entourant la tour maîtresse. On trouve d’abord ce qui est probablement un vaste entrepôt couvrant au sol près de 500 m². Plusieurs couloirs ont été mis en évidence, ainsi qu’une série de six pièces, chacune accessible par une porte piétonne, auquel il faut ajouter deux portes charretières large de 2,60 m, permettant l’entrée des marchandises nécessaires au bon fonctionnement du palais : céréales, vins, viandes, mais également vêtements, teintures, tapis, bois, métal etc.

Entrepôt : mur de façade de l’entrepôt.
© Marc Bojarski, Inrap

Deux portes de l’entrepôt, en bas une porte piétonne, en haut une porte charretière.
© Photogrammétrie Michel Besnard/Lydia Guérin, Inrap

Murs de la prison recoupés par un mur de la caserne de 1901.
© Frédéric Pasquier, Inrap

Pièce de la prison médiévale en cours de fouille.
© Bénédicte Guillot, Inrap

Graffiti d’une rosace trouvé sur l’un des murs de la prison médiévale.
@ Lydia Guérin, Inrap

Traits de comptage des jours trouvé sur l’un des murs de la prison médiévale.
@ Lydia Guérin, Inrap
Derrière cet édifice, se trouvait la prison médiévale, elle aussi assez imposante puisque formant un bâtiment de plus de 200 m². Composée d’au moins cinq pièces, avec leurs portes situées toutes du même côté, cette prison comportait un deuxième niveau, dans la partie la plus proche des fortifications. Seule une petite portion de la pièce la plus proche de l’entrepôt a été dégagée lors des travaux, mais cela a suffi pour voir apparaître les graffitis datant de la période médiévale : croix, rosaces, fleurs de lys, traits marquant le délai d’emprisonnement, ainsi qu’un dessin représentant face à face un personnage civil et un évêque.

Graffiti présent sur un des murs de la prison médiévale avec une scène représentant un civil à gauche face à un évêque à droite.
© A. Cazin, La Fabrique du Patrimoine
Un grand dépotoir du XIIIe siècle
Après le rattachement de la Normandie au royaume de France sous Philippe Auguste au tout début du XIIIe siècle, cette partie du château est totalement transformée. La chemise et les quatre tours rondes du donjon sont édifiées, tandis qu’un nouveau fossé est creusé. La première enceinte, son fossé et l’entrée fortifiée ainsi que le grand entrepôt sont détruits, afin de donner toute sa visibilité au nouveau donjon, qui apparaît dans le paysage tel qu’on le voit encore aujourd'hui. Sur les vestiges de l’enceinte, les archéologues ont en outre mis au jour un vaste dépotoir qui a livré un abondant mobilier issu du palais : des tessons de céramiques, et notamment de multiples fragments de pichets à vin très décorés, mais aussi de nombreux restes d’ossements animaux. L’étude de ces derniers, qui sera confiée à des archéozoologues, permettra de savoir quel type de viande était consommée par les nouveaux maîtres du château.
Le témoignage de la Seconde guerre Mondiale et de la prise de Caen en 1944
Plusieurs trous de bombe ont également été découverts, souvent comblés avec des gravats et du mobilier provenant soit de l’équipement militaire des Alliés ou des soldats allemands, soit de la vie quotidienne des garnisons occupant le château après-guerre : casque allemand avec le nom de son propriétaire, gourde de l’armée allemande, quarts de l’armée anglo-canadienne, bandes pour mitrailleuses, boucle de sacoche, très nombreuses bouteilles de bières anglaises… Ces traces matérielles constituent un témoignage direct de ce conflit majeur du XXe siècle et de l’impact qu’il a pu laisser dans le sous-sol.

casque allemand avec le nom de son propriétaire inscrit à l’intérieur.
© Serge le Maho, Inrap

Échantillon de bouteilles dont de nombreuses bouteilles de bières britanniques.
© Serge le Maho, Inrap

Quarts de l’armée anglo-canadienne.
© © Serge le Maho, Inrap
L’archéologie au château de Caen
Les recherches en cours s’inscrivent dans la continuité de nombreuses opérations archéologiques menées au château de Caen et conduites pour l’essentiel par l’Inrap. Elles ont permis d’étudier tour à tour : des bâtiments liés au travail du fer au Moyen Âge, dont le plus grand fut utilisé comme écurie prestigieuse au début de la Renaissance (fouille préventive de 2005 sous les salles du rempart) ; les fortifications nord-ouest (2005) et nord-est (2014-2015) ; le donjon (2016), le Vieux-Palais (2018), ainsi qu’une grande salle d’apparat, probablement construite par Henri II Plantagenêt, et qui constitue une sorte de « jumelle » de la salle de l’Échiquier (fouille programmée de 2011-2014, reprise en 2021 et 2022). L’ensemble de ces recherches nourrissent considérablement les connaissances sur l’histoire du château des ducs de Normandie.

Les Journées européennes de l’archéologie au château les 13, 14 et 15 juin
À l’occasion des prochaines Journées européennes de l’archéologie, les équipes du château de Caen et les archéologues de l’Inrap proposeront aux visiteurs une riche programmation : expositions, visites guidées, atelier pour les enfants, jeu-enquête en famille, etc. Pendant les trois jours, l’entrée au musée de Normandie sera exceptionnellement gratuite.
Le château de Caen vient tout juste d’ouvrir au public le 20 mars 2025 en lancement des festivités du Millénaire de la Ville de Caen, le 20 mars 2025.
Cette ouverture fait suite à dix ans de travaux préparatoires et deux ans de chantier sur le terrain afin de repenser le site sur les orientations d’un « Schéma Directeur de conservation et d’aménagement » adopté en avril 2017.
Trois axes majeurs composent ce programme pensé pour 30 ans en une dizaine d’opérations :
La conservation et la pérennisation du patrimoine
La réappropriation du site par les Caennaises et les Caennais
L'attractivité touristique et culturelle du Château
Après le réaménagement des espaces extérieurs (nouveaux aménagements paysagers, mise en lumière des remparts) en 2019, le Château a connu deux années de travaux lancés en mars 2023.
Dans cette deuxième opération du schéma directeur - « le château dans ses murs » - le projet de l’architecte Philippe Prost, lauréat du grand prix de l’architecture 2022, et du paysagiste Thierry Laverne a été retenu à l’issue du concours d’architecture lancé en 2020.
Le site rénové se présente désormais au public sous la forme d’un parc urbain en cœur de ville, composé de grands espaces verts et de prairies sèches, plantés de plus de 150 arbres. Un bâtiment d’architecture contemporaine sobrement intégré à l’ensemble patrimonial héberge les services de conservation et de médiation et toutes les fonctions d’accueil et de préparation de la visite à partir de ce point de départ qui ouvre le site en vue panoramique. Depuis ce point d’entrée inscrit dans la perspective des trois portes du château le public peut s’approprier le parc et ses monuments par des cheminements dégageant les cônes de vue déployés en éventail. Tout est fait pour favoriser les mobilités douces et accueillir les publics qui bénéficient ainsi d’un parcours d’interprétation historique et patrimonial, des collections des musées, et du parc de sculptures. De vastes espaces traités en jardins, des aires de jeux pour enfants, un mobilier adapté au farniente, complètent l’agrément de la visite.
Le parcours est enrichi de l’accès aux « trésors cachés » qui furent depuis des années des terrains bien connus des spécialistes de la recherche archéologique : le donjon – enfin ouvert à la visite - , les tours du chemin de ronde, les vestiges du Vieux-Palais, l’église paroissiale Saint-Georges.
Dans ce cadre, la recherche archéologique préventive conduite depuis plus de 20 ans en différentes opérations s’appuie sur des travaux pionniers de l’archéologie médiévale remontant aux années 1950, et se complète de différentes opérations programmées dont un PCR associant le musée de Normandie, le CRAHAM – Université de Caen et les chercheurs de l’Inrap sous l’égide du SRA Normandie. La synthèse de ces travaux se poursuit au musée de Normandie tandis que les équipes de médiation en présentent les premiers acquis dans des programmes de visite et d’animations.
Inscrite au Contrat de plan Etat-Région, l’opération a bénéficié d’un budget de 21 millions d’euros, financés par la Ville (7,4 millions d’euros) avec le soutien de l’État (130 000 euros), de la Région Normandie (5 millions d’euros) et du Département du Calvados (5 millions d’euros). Le projet est soutenu par un financement sur des fonds européens au titre du FEDER (3,5 M€).
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Bénédicte Guillot, Inrap
Directeur adjoint scientifique et technique : Cyril Marcigny, Inrap
- Un espace occupé dès la Protohistoire
- Une enceinte et un fossé pour protéger la tour maîtresse au XIIe siècle
- Deux édifices imposants : un entrepôt et une prison
- Un grand dépotoir du XIIIe siècle
- Le témoignage de la Seconde guerre Mondiale et de la prise de Caen en 1944
- L’archéologie au château de Caen
- Les Journées européennes de l’archéologie au château les 13, 14 et 15 juin