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La place de l'animal dans les sociétés néolithiques
Archéozoologue à l'Inrap, Lamys Hachem vient de signer avec Ginette Auxiette (Inrap), Farm, Hunt, Feast, Celebrate. Animals and Society in Neolithic, Bronze and Iron Age Northern France, une synthèse sur 5000 ans d'histoire de l'homme et de l'animal dans le nord de la France. Elle revient dans cet entretien sur la place centrale de l'animal sauvage et domestiqué dans les sociétés néolithiques.
Vous êtes archéozoologue à l’Inrap, en quoi consiste la discipline ?
Lamys Hachem : Mon champ d’étude, ce sont les animaux, non en tant qu’espèces à étudier de manière biologique, mais pour les connaissances qu’ils nous apportent sur nous-mêmes et sur les sociétés passées. L‘archéozoologue étudie les ossements qui sont prélevés sur les sites lors des fouilles et regarde quelles sont les espèces présentes, lesquelles étaient consommées, élevées, chassées ou honorées dans certains rituels. La somme des connaissances s’est beaucoup amplifiée, en particulier depuis que l’archéologie est devenue professionnelle et que l’Inrap existe.
Avez-vous une spécialité ?
L. H. : Oui, je m’intéresse à la période néolithique, aux premiers paysans qui sont arrivés dans le nord de la France. Je m’y intéresse particulièrement car les archives écrites sont inexistantes pour cette époque. La quête d’indices indirects, qui font le sel de notre métier d’archéologue, est passionnante. Ces premiers agriculteurs-éleveurs venaient du Danube et parfois du Proche-Orient. Ils ont introduit un mode de vie sur lequel nous sommes encore fondamentalement basés. Le Néolithique est une période de grandes inventions : on domestique les plantes et les animaux, on fonde des villages pérennes, on invente la céramique pour avoir des récipients, stocker la nourriture, cuisiner, etc.
Départements du nord de la France couverts par l'étude.
© Lamys Hachem, Inrap
Vue aérienne de deux bâtiments monumentaux dans leur enclos à Pont-sur-Seine.
© Frédéric Canon, Vertical photo/Inrap
Maison néolithique danubienne.
© Laurent Juhel, Inrap
Qu’est-ce qui change au Néolithique dans le rapport à l’animal ?
L. H. : Ce qui change par rapport aux sociétés de chasseurs-cueilleurs, c’est un nouveau rapport de domination à l’animal. Celui-ci, séparé de ses congénères est parqué à certains endroits et on le façonne, on le transforme. Si pour les chasseurs-cueilleurs, l’animal est un être vivant placé sur la même échelle que l’être humain, au Néolithique, il devient un être différent. Certains travaux ethnologiques, sur des populations de chasseurs-cueilleurs, les Inuits notamment qui suivent les troupeaux de rennes, donnent peut-être une idée de ce rapport. Lorsqu’un chasseur-cueilleur inuit chassait un animal sauvage, il priait au préalable ce dernier de le pardonner, et lui demandait en tant qu’égal la permission de tuer. Les Néolithiques, eux, n’ont plus la même conception de l’animalité. L’être humain devient supérieur, il a le droit de vie, de mort de transformation et de reproduction sur l’animal.
Vue d'un crâne de cerf élaphe dans une fosse mésolithique à Crisenoy.
H. Civalleri, Inrap.
Quelles espèces d’animaux sont introduites par les Néolithiques ?
L. H. : Ils domestiquent d’abord la chèvre, puis le mouton. Ensuite, des aurochs pour en faire des bovins et des sangliers pour en faire des porcs. D’après ce que l’on peut déduire de l’alimentation des premiers paysans qui s’installent dans le Nord de la France, les troupeaux seraient constitués de 50 à 70 bovins, d’une trentaine d’ovins et de caprins, et d’une vingtaine de porcs par village. Par village, on entend cinq ou six maisons contemporaines.
Le chien a été domestiqué avant le Néolithique. Il n’est alors pas très grand et ressemble un peu au loup, son ancêtre. Au début du Néolithique on ne le mange pas, il n’y a donc que de rares restes ou des traces de morsure sur les os pour attester sa présence. Par la suite, il est impliqué dans des rituels, au cours desquels il est sacrifié et mangé. Mais, à travers le temps, le chien, comme le cheval, revêt différents statuts. C’est un tabou alimentaire ou, au contraire, on l’élève pour le manger. Son rôle a pu être multiple : gardien de troupeau, aide à la chasse, animal de compagnie…
Dans le monde, tout a été expérimenté en fait de domestication des mammifères. Au Néolithique, toutes les espèces pouvaient être domestiquées, mais ne l’ont pas été, probablement pour laisser une barrière entre le domestique et le sauvage. Si les Néolithiques introduisent un nouveau mode de vie basé sur la consommation des animaux domestiques, une partie de l’apport carné reste liée à la chasse au gibier, sachant que c’est probablement aussi une valorisation sociale que de chasser.
Une fois domestiqués, les animaux évoluent-ils ?
L. H. : Oui, il y a des transformations physiques et psychiques, et l’animal domestiqué devient plus docile que l’animal sauvage. Sur le plan physique, les modifications peuvent être accentuées si l’on sélectionne tel ou tel critère de reproduction, comme c’est le cas des races de chien actuelles. Les aurochs et les sangliers baissent de taille pour devenir des bovins et des porcs de plus en plus petits.
La domestication réduit la taille des animaux : en haut, un os d’une patte de vache ; en bas, le même os provenant d’une femelle d’aurochs. Fouille de Cuiry-lès- Chaudardes (Aisne).
© Jean-Louis Bellurget, Inrap
Les cornes régressent, le pelage se modifie, la laine apparaît, etc. À l’origine, les moutons avaient une toison, remplacée après la mue par un poil plus doux. Des poids pour filer la laine apparaissent, et plus tard, vers 3000 avant J.-C. en Suisse, des forces pour tondre les moutons. Ces objets laissent à penser que la laine du mouton est utilisée, le poil a dû se modifier et devenir plus doux et plus facilement filable.
Au Néolithique, l’animal est une des matières premières. Que peut-on tirer d’un animal ?
L. H. : En dehors de la viande, bien entendu, les os sont utiles pour fabriquer quantité d’outils, les bois de cerf servent à faire des gaines de hache, un élément placé entre le manche en bois et la lame de la hache polie. Ces lames en roche dure sont très précieuses et la gaine en bois de cerf atténue les vibrations qui risqueraient de les briser au moment des coupes de bois par exemple. Les peaux servent pour les vêtements, les couvertures, les tentes. On en trouve des traces indirectes : perles en coquillages ou en dents de cerf qui devaient être cousues sur le cuir. Les défunts que l’on trouve en position fœtale et parfois contrainte ont probablement été entourés par une couverture de cuir. Graisse et moelle sont récupérées. Quant aux poils ils sont utilisés pour faire les brosses, etc.
Ri-sur-Orne, minières de silex, outils en bois de cerf découverts dans un puits.
© C. Soret, M. Dupré, E. Gallouin, Inrap
Lame de pioche perforée en bois de cerf, mine de silex de Ri (Orne). Des centaines d'objets en bois de cerf ont été mis au jour dans les puits d'extraction.
© Laurent Juhel, Inrap
Perles tubulaires en coquillage (spondyle) découvertes dans une tombe, Néolithique ancien (5 300 - 4 900 avant J.-C).
© F. Schneikert, Archéologie Alsace
On chasse au Néolithique ?
L. H. : Les études ethnologiques nous disent que la chasse au gros gibier est pratiquée à 99 % par des hommes dans les sociétés traditionnelles. On ne sait pas ce qu’il en est pour le Néolithique, mais il est probable que ce soit dans la même proportion. Chaque animal a un statut à part.
Proportion des principales espèces sauvages chassées pendant la période du Rubané (LBK, Néolithique ancien).
© Lamys Hachem
Ainsi, l’aurochs et le bovin ont eu des cultes particuliers dès le début du Néolithique, sans doute parce que le bovin descend de son ancêtre sauvage, et parce qu’il symbolise la force. L’aurochs devait avoir une symbolique importante chez les populations néolithiques, comme le bison pour les Indiens des plaines de l’Amérique autrefois. Il était probablement chassé collectivement, parce que c’est une chasse difficile, à la différence, par exemple de celle du chevreuil, d’autant plus si c’est un aurochs mâle. Il faut l’imaginer comme un taureau espagnol, mais en beaucoup plus grand et dangereux. Le cerf a aussi toute une mythologie liée à ses bois majestueux et qui peut avoir des résonances avec des cultes de la nature, comme on le voit encore dans certaines sociétés traditionnelles. Les gravures sur rochers du Valcamonica, où l’on voit des chasses au cerf par exemple, sont impressionnantes. Chaque animal a donc sa propre définition, son propre rapport à la société.
Vous avez émis une hypothèse sur les villages au Néolithique, d’après des rejets de consommation trouvés aux abords des maisons. Pouvez-vous la résumer ?
L. H. : Nous avons fouillé pendant de nombreuses années un village du Néolithique ancien à Cuiry-lès-Chaudardes dans l’Aisne. Le village était probablement divisé en trois quartiers : un où l’on consommait plus de mouton, un où l’on consommait plus de bovins et un où l’on consommait plus de produits de la chasse, dont le sanglier. Cela ne veut pas dire que chaque maison était spécialisée dans une consommation particulière, car tout le monde avait un régime alimentaire identique. Ce sont simplement des surplus qui ont été mis en évidence. De plus, on a remarqué que selon que la maison soit de grande ou de petite taille les restes de consommation différaient : les grandes maisons étaient associées à une abondance des animaux d’élevage, alors que les petites avaient un nombre important d’animaux sauvages, en particulier du sanglier. Il s’avère que c’était aussi le cas dans d’autres villages des Hauts-de-France et d’Île-de-France.
Traces d’une maison danubienne vers -5000 à Chambly, dans l’Oise.
© Inrap
Dans ces grandes maisons au bétail abondant, on trouve aussi des meules à grain et des céramiques montées traditionnellement, par le biais de deux ou trois techniques. En revanche, dans les petites maisons, à présence importante de gibier, on trouve des outils servant à tanner les peaux ou exploiter les ressources animales et des techniques variées de montage de vase. Nous avons émis une nouvelle hypothèse, avec les collègues travaillant sur les mobiliers céramiques et de mouture, pouvant expliquer ces différences. Les grandes maisons abriteraient des familles élargies, économiquement mature, alors que les petites maisons accueilleraient de jeunes couples venant de s’installer ; les échanges entre les deux types d’habitations étant certainement nombreux.
Composition d'un hameau à Cuiry-lès-Chaudardes aux phases précoce et moyenne de la séquence locale LBK (Rubané) : une grande maison avec des proportions plus élevées de bovins ou de caprins, une petite maison avec des proportions plus élevées de grand et petit gibier, notamment de sanglier, et plusieurs petites et moyennes maisons sans tendance particulière de ce type.
© Lamys Hachem, Ginette Auxiette, Inrap
Les surplus que vous avez observés sont-ils indicatifs de structures sociales dans un sens plus large ?
L. H. : À Fleury-sur-Orne (Calvados), où une grande nécropole du Néolithique moyen a été fouillée, on trouve des monuments funéraires où gisent des dizaines de moutons sacrifiés accompagnant les inhumés. Là, il y a un rapport direct entre ce que va devenir le défunt, ou ce qu’il a été dans la vie et l’animal. Cela permet de discerner dans ce cas la présence d’inégalités sociales par la de mise en valeur de personnages centraux (éleveurs ? chasseurs ? guerriers ?).
En dehors du domaine funéraire, il existe des lieux que l’on nomme enceintes. Ce sont des fossés circulaires qui ont été creusés sur plusieurs hectares, à l’intérieur desquels on retrouve des dépôts d’animaux sacrifiés. Ces enceintes correspondent au Néolithique moyen à une phase d’occupation plus intense des territoires ainsi qu’à une compétitivité pour l’accès aux ressources, et à une formation de groupes ou de « tribus » qui se différencient les uns des autres tout en ayant une même base culturelle. Les enceintes ont été probablement construites pour servir de lieux de rassemblement à ces tribus, se livrer à des échanges, des marchés, des alliances (ou des trahisons !), scellés notamment par des festins et des sacrifices d’animaux. Dans ces contextes, ce n’est pas tellement le funéraire qui est mis en avant, mais plutôt des rituels « religieux ». Les ancêtres ne sont pas exclus de ces réunions, on trouve des ossements humains, fémur ou crânes par exemple, probablement très significatifs pour ces populations, à côté d’une poterie et d’un animal sacrifié.
Passel " le Vivier " (Oise), bucranes et chevilles osseuses de bovins associés à des poteries et des outils macrolithiques.
© Inrap
Le lien nous échappe, mais il s’inscrit dans un système de représentations de ces sociétés. La plupart du temps, il s’agit d’animaux domestiques, bovins, porcs, moutons ou chien, mais il y a aussi des animaux sauvages comme des aurochs. D’après les ethnologues et les anthropologues, on sacrifie un bien précieux en hommage aux ancêtres, aux forces naturelles (et plus tard aux dieux). Plutôt que de sacrifier un humain, on préfère sacrifier un animal. Il existe plusieurs hypothèses, soit c’est un bouc émissaire qui canalise la violence de la société, soit il est un intercesseur chargé d’obtenir la clémence, pour protéger le bétail des maladies ou arrêter des intempéries.
Escalles "le Mont d'Hubert " (Pas-de-Calais), fosse 495 datée du Néolithique moyen 1 (Cerny) ; dépôt des restes entièrement articulés d'un jeune veau (d'après Praud et al. 2014, fig. 117).
© Inrap
Au Néolithique l’animal est central, en particulier l’animal domestiqué, qui a une histoire avec l’être humain et qui peut représenter une certaine richesse. Un troupeau de bovins, comme on le voit toujours chez les peuples pasteurs, c’est un patrimoine qui intervient dans les échanges, les dots de mariage, qui paie le prix d’une vie prise lors d’une guerre… Les animaux sont capitaux dans tous les aspects de la vie, économique, nourricière, spirituelle. Ils pouvaient être aussi des symboles de clans. On a trouvé dernièrement dans l’enceinte de Passel, dans l’Oise, un poteau de bois sur lequel était fiché un bucrane de cerf (des cornes de cerf) évoquant un totem.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Est-ce que l’on constate une césure lors du Campaniforme ? Est-ce que quelque chose change dans le rapport à l’animal ?
L. H. : Le problème est que l’on n’a presque que des tombes pour le Campaniforme et très peu de sites d’habitat, donc les restes osseux sont quasiment inexistants. Mais, au Néolithique récent, on connaît des tombes avec des colliers composés de dents ou d’os de carnivores, renards, canidés, loups, ours. Quelque chose se passe, d’abord avec le renard, qui pourrait être lié aux enfants. Tout n’a pas été étudié, d’autant qu’il y beaucoup de sépultures collectives anciennement fouillées, à une époque où seuls les restes humains et les parures étaient dignes d’attention, on faisait peu de cas de restes animaux naturels.
Vous venez de signer deux publications, dont l’une sur un site néolithique et l’autre sur vos travaux sur la faune au Néolithique.
L. H. : Oui, l’une de ces publications ne concerne pas l’animal en particulier, mais le site de Tinqueux « la Haubette » près de Reims, dont j’ai dirigé la fouille et analysé l’habitat. C’est un site du Néolithique ancien (vers 4 900 avant J.-C.), qui a la particularité d’être très à l’est pour la culture qu’il représente, que l’on appelle « Blicquy/Villeneuve-Saint-Germain », et qui s’en démarque par sa céramique, ses décors en céramique et sa production de parure en pierre. L’autre publication, Farm, hunt, feast, celebrate est une synthèse de tous les travaux que nous menons depuis une trentaine d’années sur la faune, avec ma collègue Ginette Auxiette (Inrap), moi, pour le Néolithique ancien, moyen et final et, elle, pour l’âge du Bronze et l’âge du Fer, avec un arrêt à la Conquête romaine. À travers la somme de ces analyses, nous avons retracé 5 000 ans d’histoire de l’alimentation, dans le nord de la France, par le biais des rejets dans des fosses dépotoirs. Mais nous avons aussi abordé d’autres domaines comme les rassemblements collectifs en étudiant les rejets et dépôts d’animaux sacrifiés dans des sanctuaires celtes, des enceintes néolithiques ou des enclos gaulois ; ou encore les gestes funéraires à travers les dépôts d’offrandes animales dans les tombes.
Saint-Léger-Près-Troye (Aube), dépôt d'aurochs, Néolithique récent.
© V. Riquier, Inrap
Nous avons étudié ces sociétés à travers les animaux qu’elles consommaient, qu’elles élevaient, qu’elles chassaient, qu’elles sacrifiaient. On s’aperçoit que tout évolue, mais qu’il y a toujours une certaine continuité. Par exemple, les sacrifices sont constants dans toutes ces sociétés, mais prennent des formes différentes, en fonction de la complexité du système social. Autre exemple, l’alimentation, le type d’animal qui est mis en avant, les mythes qu’il engendre, sont un biais pour marquer la hiérarchie sociale. Ainsi, le bovin, qui est si important au Néolithique, perd sa place de leader à l’âge du Bronze au profit du mouton ou bien du porc.
Buchères, Parc Logistique de l'Aube, D39 (Aube), Néolithique moyen 1 (Cerny), vue des éléments crâniens de bovins et de porcs dans une des deux fosses oblongues de la chambre funéraire.
© C. Paresys, Inrap
C’est aussi à cette époque que la focalisation sur le cheval débute, celui-ci est domestiqué dans les steppes et s’implante tardivement sur notre territoire. Le cheval va avoir une résonance énorme, puisqu’il change tous les moyens de transport existants. Nous avons choisi faire traduire le livre en anglais parce qu’il concerne des sociétés qui concernent plusieurs pays en Europe. Nous voulons que nos collègues internationaux aient accès à toutes ces données.
Villers-Carbonnel, la Sole d'Happlincourt (Somme), enceinte du Néolithique moyen 2 (Chasséen du Nord), mandibule de hérisson polie, interprétée comme une amulette.
Yolaine Maigrot, CNRS/Trajectoires
L’Inrap apporte beaucoup de données. L’archéozoologie est une niche, mais elle a gagné beaucoup d’importance. Est-ce aussi du fait d’une nouvelle interrogation de nos sociétés sur le rapport à l’animal ?
L. H. : L’archéologie a fait un bond depuis qu’elle s’est professionnalisée. Effectivement, le fait que nous soyons un institut national permet de produire un nombre de données extrêmement important. Cela nous permet de construire une histoire dont, je l’espère, les historiens s’empareront, puisque ce sont des archives équivalentes à des écrits ou même plus impartiales que des écrits. C’est un cliché de dire que le passé permet de nous contempler ou de voir l’avenir, mais c’est la réalité. Quand on sait ce qu’il se passe avant, on peut comprendre ce qu’il va se passer après, ou ce qu’on vit actuellement. Ainsi, notre souci actuel de l’animal montre combien nous avons perdu notre lien avec lui, hormis chiens et chats qui sont rentrés dans nos maisons alors qu’ils en étaient exclus auparavant et les chevaux, qui ont toujours bénéficié d’une certaine sympathie et d’un intérêt certain. C’est à partir du Néolithique que la séparation se fait, certainement, mais pas au profit d’un seul rapport de domination. On dépend aussi des animaux quand on les domestique et les éleveurs attachent souvent de l’importance au bien-être de l’animal, en témoignent ceux des petites exploitations agricoles. Ce qui a sans doute ouvert à toutes les dérives dans nos contrées est le fait que, au Moyen âge comme à la Renaissance, certains animaux aient été perçus par la religion catholique comme des créatures diaboliques. Le fait qu’ils ne s’exprimaient pas avec notre langage pouvait nous autoriser à les maltraiter. Cela a commencé avec l’ours, qui parce qu’il se tenait sur ses deux pattes, paraissait proche physiquement de nous. Le pauvre animal a été massacré, ainsi que le loup, le renard, la chouette…puis de diaboliques ces animaux sauvages sont devenus nuisibles.
Les restes de loups sont rares dans les sites néolithiques et comprennent des éléments crâniens (mâchoires supérieure et inférieure, etc.), des fibules et des phalanges qui avaient probablement une signification symbolique.
© Wikilmages, Pixabay
Je parle de notre société occidentale, parce qu’évidemment, il y a d’autres sociétés, en Inde, par exemple, où l’on peut avoir un tout autre rapport à l’animal que le nôtre, une sacralisation de la vie bien différente de ce que nous connaissons. Par la suite, à l’après-guerre, l’industrialisation a fait beaucoup de mal à notre lien à l’animal domestique consommé, en raison de l’élevage en batterie. D’ailleurs, les éleveurs ne sont pas satisfaits non plus de cet élevage à grande échelle, de ces milliers de poulets entassés ou de ces jeunes poussins broyés, ce qui va certainement changer les choses à l’avenir. Plus on approfondit notre connaissance des animaux, plus on s’aperçoit qu’ils ont des transmissions de savoirs, une conscience du présent, des réactions semblables aux nôtres… Cela indique une évolution de notre perception de l’être vivant. Nous reconstruisons notre lien perdu avec l’animal.
- Vous êtes archéozoologue à l’Inrap, en quoi consiste la discipline ?
- Avez-vous une spécialité ?
- Qu’est-ce qui change au Néolithique dans le rapport à l’animal ?
- Quelles espèces d’animaux sont introduites par les Néolithiques ?
- Une fois domestiqués, les animaux évoluent-ils ?
- Au Néolithique, l’animal est une des matières premières. Que peut-on tirer d’un animal ?
- On chasse au Néolithique ?
- Vous avez émis une hypothèse sur les villages au Néolithique, d’après des rejets de consommation trouvés aux abords des maisons. Pouvez-vous la résumer ?
- Les surplus que vous avez observés sont-ils indicatifs de structures sociales dans un sens plus large ?
- Est-ce que l’on constate une césure lors du Campaniforme ? Est-ce que quelque chose change dans le rapport à l’animal ?
- Vous venez de signer deux publications, dont l’une sur un site néolithique et l’autre sur vos travaux sur la faune au Néolithique.
- L’Inrap apporte beaucoup de données. L’archéozoologie est une niche, mais elle a gagné beaucoup d’importance. Est-ce aussi du fait d’une nouvelle interrogation de nos sociétés sur le rapport à l’animal ?