Vous êtes ici
Le Bronze dans tous ses éclats
Archéologues référents pour la saison scientifique et culturelle « âge du Bronze » de l'Inrap, Rebecca Peake et Cyril Marcigny reviennent dans un entretien sur les apports de l'archéologie préventive aux études sur l'âge du Bronze, ou comment une période jusqu'alors méconnue de la Protohistoire s'est révélée, sous la loupe des archéologues, porteuse d'innovations qui, encore aujourd'hui, déterminent le visage des sociétés européennes.
Vous êtes membres du commissariat scientifique de l’exposition « Les Maîtres du feu » qui ouvrira ses portes le 13 juin 2025 au musée d'Archéologie nationale. Qu’avez-vous voulu montrer à travers cette saison et cette exposition ?
Cyril Marcigny : Nous voulons faire connaître cette période magnifique de l’âge du Bronze, comprise entre le Néolithique et l’âge du Fer, entre les premiers agriculteurs et les Gaulois. Elle couvre un laps de temps d’un peu plus d’un millier d’années, entre - 2 300 et - 800 avant J.-C. Comme la période n’est pas étudiée à l’école et qu'elle manque de repère chronologique, l’intérêt pour le grand public est moindre. Les deux périodes qui l’encadrent semblent mieux répondre à des problématiques actuelles, comme la sédentarité au Néolithique ou l’identité nationale : « nos ancêtres, les Gaulois ! ». L'âge du Bronze commence par un moment qui est assez flou, coiffé par la culture campaniforme, compris entre le Néolithique et la diffusion de la première métallurgie, et il finit par une grosse péjoration climatique qui amorce le début de l’âge du Fer.
Jusque dans les années 1980, l’âge du Bronze n’était connu qu’à travers des dépôts d’objets métalliques, les sites palafittes (sur pilotis) et quelques sites de hauteur fortifiés. En 1999, une grande exposition au Grand Palais, L’Europe au temps d’Ulysse, avait pour ambition de faire connaître l’âge du Bronze. Centrée sur ce premier âge d’or de l’Europe, elle reflétait une vision très élitaire de la période à partir de mobiliers d’exceptions. C’est le développement de l’archéologie préventive et les grands décapages qui ont révélé les sites de l’âge du Bronze en France, l'habitat, les villages, les nécropoles. Il y en a partout, ce qui est normal : les gens vivaient partout. Dans le cadre de cette année Bronze, nous proposons une nouvelle exposition qui n’aura pas l’ampleur de celle du Grand Palais mais qui va pouvoir donner un aperçu de tous les aspects de ce qui fait l’âge du Bronze.

Vue aérienne de deux bâtiments allongés du Bronze final à Onnaing (Nord). Une vingtaine de bâtiments ont été révélé sur ce site dont plusieurs d'entre eux forment des constructions imposantes de plan rectangulaire de 25 m de long à terminaison en abside.
© Frédéric Audouit, Inrap
Rebecca Peake : L’archéologie préventive a révélé beaucoup de sites, collecté énormément de données. Elle s’appuie également sur des méthodes d’analyse, ADN et isotopes notamment, ainsi que sur des expérimentations, qui nous permettent d’approcher les gens différemment. Dans cette exposition, nous avons essayé de présenter tous les aspects de la vie à l’âge du Bronze, montrer qui étaient ces gens, ce qu’ils faisaient, comment ils vivaient et se représentaient le monde. L’âge du Bronze n’est pas tout le temps spectaculaire, mais en mettant les informations issues de fouilles préventives bout à bout, on arrive à construire une image bien plus complète de cette époque. C'est aussi une période où l’on observe une explosion des réseaux d’échange avec une mobilité accrue des objets et des personnes. On a pu définir l’âge du Bronze comme la première période d’industrialisation. Avec le travail du métal, on va pouvoir produire des objets que l’on va utiliser, échanger et après recycler. C’est une révolution.
La métallurgie n’existait-elle pas avant l’âge du Bronze ?
C. M. : La métallurgie du cuivre commence largement avant. Dès le quatrième millénaire, au Néolithique, on travaille le cuivre, on travaille l’or. En revanche, ce qui commence avec l’âge du Bronze, c'est la recette métallurgique : mélanger du cuivre avec de l’étain, avec du plomb, ou d’autres matériaux, pour produire un métal qui n’existe pas dans la nature qui est le bronze. C'est cette innovation qui vient changer la dynamique territoriale à cette époque. C'est-à-dire qu’au Néolithique, il y a des cailloux à peu près partout et il suffit de se baisser pour concevoir ses outils. Avec le bronze, il va falloir aller chercher du cuivre et de l’étain et donc commencer à voir ce qui se passe chez les voisins et à tisser les réseaux d’échange. Ces échanges vont retomber à l’âge du Fer parce que du fer, il y en a aussi à peu près partout.

Dépôt du Bronze final (950-800 avant notre ère) découvert à Surtainville (Manche) contenant des fragments d’épée, de hache, de bracelet et un lingot de bronze probablement destiné à la refonte.
© H. Paitier, Inrap
Quelle est la recette du bronze ?
C.M. : Cette recette est très variable, selon le résultat que l’on veut obtenir : soit un métal un peu mou, soit dur, soit rouge, jaune, blanc… Il y a beaucoup de combinaisons possibles. L’intérêt de mélanger de l’étain et du cuivre est de pouvoir baisser la température de chauffe pour obtenir du métal. C'est-à-dire que pour faire fondre du cuivre, il faut une température de 1 083 °C, mais si l’on rajoute de l’étain qui est un fondant, l’étain fond avant, on peut alors fondre le bronze à partir de 700 °C. Et 700 °C, c'est la température d’un simple foyer que l’on active avec de l’air. La révolution ne réside pas dans les techniques de chauffe, mais sur la manière dont on mélange les matériaux en fonction du produit que l’on veut obtenir. Il y a une réflexion sur le type de production et sur la manière dont on peut le produire en série, à l’identique.

Spirale de jambière en bronze à spires en ruban chevauchantes provenant d'une sépulture de l'âge du Bronze (final) de la nécropole du Petit Moulin (Migennes, Yonne), 2004.
© Loïc de Cargouët, Inrap
Est-ce la même technologie que pour cuire la céramique ?
C.M. : C'est un foyer très simple. Par rapport à la céramique qui est cuite principalement en meule, il faut simplement activer le feu, ce qui nécessite des soufflets. Il faut monter et maintenir très longtemps en température afin que le métal soit le plus liquide possible pour pouvoir être versé dans le moule. La céramique est plus « paresseuse » : on monte la température, on ferme le four et puis on laisse cuire. On ne connaît quasiment pas d’atelier de bronze à l’échelle de l’Europe. Comme il ne faut pas creuser pour installer les foyers, ceux-ci ne laissent pas beaucoup de traces, à la différence des bas fourneaux de l’âge du Fer qui ont été creusés et ont laissé des traces fortes dans le sol.

Gouttelette en bronze, résidu de l'activité de la forge mise au jour à Metz/Sansonnet (Bronze final).
© Lino Mocci, Inrap
Comment est-on informé alors sur la fabrication du bronze ?
R.P. : C'est par l’expérimentation que l’on peut déduire ce travail métallurgique, et aussi par les moules que l'on a pu retrouver. La fabrication des objets en bronze est une industrie. Il y avait des ateliers sans doute assez spécialisés dans la production de certains types d’objets, mais il y avait aussi tout un artisanat du bronze qui se faisait dans les habitats. Il y avait donc différentes échelles de fabrication des objets. Mais pour ces différents lieux de production, on entrait toujours dans un système économique puisqu’il fallait déjà se procurer de la matière première, l’étain et le cuivre, pour pouvoir fabriquer le bronze. Or, l’étain ne vient pas du même endroit que le cuivre. Le cuivre vient d’Espagne, d’Autriche, d’Angleterre et des Alpes pour les gisements principaux, alors que l’étain se trouve, lui, principalement en Cornouailles, où l’on a extrait de l’étain de l’âge du Bronze jusqu’au XVIIIe siècle. Il fallait donc forcément tisser des liens économiques à longue distance.

Coulée de bronze réalisée dans le cadre d’une reconstitution expérimentale. Ici le bronze en fusion contenu dans un creuset est versé dans un moule en terre.
© Archéologie expérimentale par Jean Ladjadj et son équipe, cliché Nicolas Fromont, Inrap
On n’échange que le métal ?
C.M. : Il y a une grande diversité d’autres produits qui sont échangés au niveau de toute l’Europe : l’ambre qui vient de la Baltique, l’argent qui vient d’Espagne, les fourrures qui viennent du nord de l’Europe qui sont échangées jusqu’en Allemagne, l’or qui vient d’un peu partout... De nombreux produits participent de cette nouvelle économie. C’est une forme de petite globalisation ou de petite mondialisation à l’échelle de l’Europe. De nouvelles notions vont entrer en ligne de compte. Un commerce apparaît, au moins vers la fin de l’âge du Bronze. Des systèmes de pesée montrent des cohérences à des échelles réduites en Europe. On commence à s’approcher d’une économie marchande et de quelque chose qui est complètement neuf par rapport à ce qui existe au Néolithique où les économies sont à petite échelle.

Perle en ambre du Bronze final (-1350 à -800). Elle mesure 6,5 mm de hauteur et sa couleur est rouge orangé. Gross Eichholz, Hérange (Moselle), 2012.
© Carole Lafosse, Inrap
Il y a des échanges, mais il n’y a pas de monnaie ?
R.P. : La monnaie a une valeur faciale alors que le bronze a une valeur en tant que masse de métal. C'est donc un autre type de valeur d’échange. C’est dans ce système économique qu’entrent les instruments ou les systèmes de pesée qui traversaient l’Europe, de l’Europe du Nord, Nord-Ouest, jusque dans la Méditerranée. Le matériel en bronze et des poids standards peuvent devenir une monnaie d’échange comme une sorte de proto-monnaie. Par ailleurs, il existe des débats pour savoir si les dépôts métalliques ont pu jouer le rôle de petits trésors.
Comment cette nouvelle dynamique économique change-t-elle les sociétés ?
C.M. : Au Néolithique, la céramique est faite à l’échelle de la maisonnée. Il n’y a de spécialisation que pour certains produits lithiques. Certains types de silex, de haches et de poignards, comme les poignards du Grand-Pressigny, sont diffusés à longue distance, mais ce n’est pas du tout la même échelle. La spécialisation artisanale émerge et se généralise vraiment au cours de l’âge du Bronze. La métallurgie est le stimulus originel qui a obligé à créer de nouveaux types d’échange à moyenne ou longue distance, mais c’est le cas ensuite pour toutes les productions artisanales, métal, céramique, textile, qui sont réalisées par des artisans spécialisés au cours du Bronze final. Et dans la spécialisation, il faut compter aussi la spécialisation guerrière, l’apparition du mercenariat. Kristian Kristiansen, un archéologue danois spécialiste de la période, a émis l’hypothèse que la spécialisation guerrière apparaissait justement pour protéger les commerçants et le flux économique. C'est une forme de spécialisation qui apparaît au cours de la seconde moitié de l’âge du Bronze. On bascule vraiment dans un nouveau monde.
R.P. : S’il y a cette spécialisation, cela signifie qu’il y a un système économique et social qui permet de soutenir cette spécialisation, que l’on produise assez de nourriture pour nourrir tout le monde, puisque ces artisans spécialisés et guerriers n’entrent pas dans ces systèmes de production de nourriture. C’est donc une société d’échange et de commerce qui doit être soutenue. Il faut produire des excédents. Par exemple, il y a une production agricole qui se spécialise avec l’apparition de nouvelles graines, le millet notamment. Le millet apparaît au Proche-Orient vers le Bronze moyen, progresse à travers l’Europe et arrive en France à partir du XIVe s. av. J.C., soit une progression relativement rapide. Le millet fait partie de ces systèmes d’échange et de mobilité des personnes et des produits. Il est intéressant car son cycle de croissance est extrêmement court. Normalement, quand on produit des céréales, on va semer au mois de novembre et on va récolter à la fin du printemps, et pendant cinq à six mois, on ne sait pas si la récolte va réussir ou pas. Avec le millet, on peut semer au printemps pour avoir une récolte en été. On peut donc sauver une récolte. Le millet assure une sécurité alimentaire qui n’existait pas avant.

Graine de millet carbonisé du Bronze final, site de Buchères.
© Françoise Toulemonde
Donc l’agriculture change beaucoup à l’âge du Bronze ?
R.P. : Le XIVe siècle av. J.-C., ouvre une période assez favorable climatiquement et on observe une vraie recherche d’amélioration alimentaire. Non seulement il y a le millet, mais il y a d’autres types de blé, plus productifs, qui arrivent aussi courant XIIIe siècle av. J.-C. du Proche-Orient. On produit mieux et avec une plus grande variation au niveau des productions de céréales, de légumineuses, de plantes oléagineuses. Non seulement il y a des champs pour cultiver, mais probablement aussi des potagers. Cette dynamique soutient l’économie, témoigne d’une certaine expansion et d’une richesse. On peut presque parler d’aisance à ce moment-là.

Équipement culinaire (meule et mortier) révélé au sein d'un habitat d'un village de l'âge du Bronze dans la commune de Sartène.
© P. Druelle, Inrap.
Comment ces nouvelles variétés entrent-elles en Europe ?
C.M. : Les cultures de graines impliquent un savoir-faire qui est nouveau. Contrairement au Néolithique, il y a de grands bateaux qui circulent en Méditerranée et dans le nord de l’Europe qui diffusent des matériaux dont témoignent les contenus d’épaves. De vraies axes de circulation sont construits, des systèmes de champs se mettent en place qui sont pérennes par rapport au Néolithique Des « routes » pérennes et aménagées sont créées alors que l’on n’en connaît pas au Néolithique. Il y a de grands chantiers pour faire créer ces réseaux et aménagements du paysage. Il faut vraiment voir l’âge du Bronze comme un creuset de tout ce qui arrive jusqu’à maintenant.

Extrémité sud du bateau de Douvres. En cours de fouille dans un caisson étanche, 1992.
© Andrew Savage, Canterbury Archaeological Trust
Pour faire des routes, cela suppose une organisation et un certain pouvoir. Qui construit ces routes ?
C.M. : Cela dépend des secteurs géographiques et des périodes. Dès le début du Bronze ancien, à la fin du troisième millénaire, des gens prennent le pouvoir dans certaines régions, en Bretagne, dans le Wessex, en Espagne, à proximité des minerais. En Bretagne et dans le Wessex, il y a des défunts qui sont enterrés avec de nombreux bijoux, il y a des armes qui circulent, qui ne sont pas forcément opérationnelles mais qui témoignent d’une volonté d’afficher son pouvoir. Et c'est dans ces régions-là que les premiers cheminements et les premiers parcellaires se mettent en place. Cependant, très vite, dès que le bronze va commencer à circuler, il ne va plus assurer uniquement la richesse de ces groupes, car il est recyclable et chacun va pouvoir s’en procurer, ce qui va provoquer l’effondrement de ces formes de hiérarchies et l’apparition de nouvelles, plus à l’est.
R.P. : Pour revenir aux routes, il y a trois types de transport : le transport maritime, fluvial et terrestre. Nous disposons de beaucoup de témoins du transport maritime, des épaves retrouvées le long des côtes de la Grande-Bretagne ou en Méditerranée. Compte tenu du développement du réseau hydrographique en France, nous nous doutons bien que beaucoup d’échanges ont eu lieu par voie fluviale. En ce qui concerne les échanges terrestres, les routes faciles le long des rivières, les passages permettant de traverser un cours d’eau ou une montagne étaient plus développées.
C.M. : La plupart des routes sont en terre, mais dès que le terrain devient un peu trop humide ou autre, des systèmes de plateforme en bois sont installés à ras du sol pour traverser des marais, à l’approche de certains gués, des trackways. Ces axes ont une importance géopolitique.

Chemin de planche (trackway) daté du Bronze final. Site d’Houplin-Ancoisne le Marais de Santes (Nord).
© Ivan Praud, Inrap
À Tollense, au nord de Berlin, un champ de bataille du Bronze final, le premier d’Europe, est fouillé depuis une vingtaine d’années. Ce site a livré des centaines de corps, principalement de jeunes hommes, des chevaux, de l’armement. Ce champ de bataille est situé à proximité d’un passage à gué et d’une route de type trackway. Probablement pour des raisons économiques, deux groupes distincts se sont battus autour de cette route. Des études isotopiques ont démontré que l’un se composait de personnes venant du sud de l’Allemagne actuelle, et l’autre de personnes venant du nord de l’Allemagne, du Danemark et même de Pologne.
On parle d’un accroissement de l’insécurité…
C.M. : Ce sentiment d’insécurité transparaît avec la spécialisation guerrière dans la deuxième moitié de l’âge du Bronze, après le XIIIe siècle av. J.-C. Il y a alors beaucoup d’armement qui circule (épées, pointes de lance, haches, …), mais aussi des casques et des cuirasses en métal et probablement en matériaux périssables. On le voit également à travers l’augmentation du nombre de sites fortifiés à la fin de l’âge du Bronze. À la même époque, on observe de plus en plus de violences interpersonnelles mais pour des raisons que l’on ne comprend pas forcément : conflits territoriaux ? économiques ?

A Plourivo dans les Côtes d'Armor, cette épée du Bronze moyen à été découverte lors de draguage éffectués dans la ria du Trieux (Côtes-d'Armor, Bretagne).
© Hervé Paitier, Inrap
Si l’on parle des échanges, que sait-on des mouvements de population ?
R.P. : Le secteur de la vallée de la Seine, au sud-est de Paris, a été beaucoup fouillé. On y a trouvé peu de sites du Bronze ancien et du Bronze moyen, et une véritable explosion, en termes de nombre de sites au XIVe s. av. J.-C, avec un changement de culture matérielle. Avant, cette zone était soumise aux influences atlantiques, mais elle bascule au cours d’une période très courte du Bronze final dans une sphère culturelle orientale, ce qui tendrait à indiquer que des populations sont arrivées de l’est et se sont installées dans la vallée.
Sur le plan funéraire, qu’est-ce qui est caractéristique de l’âge du Bronze ?
R.P. : Le tumulus. Ils font des tumulus partout. Il y a une vraie mise en valeur de l’individu à travers une action communautaire. On va mettre en valeur un individu, sans doute quelqu’un de très important, à travers une construction qui exige de la main-d’œuvre. Les tumulus servent aussi à marquer les territoires parce que ce sont des élévations qui sont pérennes, au moins pendant quelques siècles, alors que les habitats sont beaucoup plus éphémères. C'est ce que l’on appelle des géo-symboles. Certains grands mégalithes ont cette fonction au Néolithique, mais leur nombre est bien plus restreint que ces nécropoles de l’âge du Bronze. Les tumulus jalonnent aussi les routes. Des archéologues danois ont démontré qu’un réseau de tumulus permettait de dresser un réseau viaire de l’époque.

Tumulus en cours de fouille à Erquy (Côte-d'Armor).
© Mélanie Levan, Inrap.
Le tumulus témoigne-t-il de la richesse d’un individu ou groupe d’individus ?
R.P. : Certains en Bretagne pour le Bronze ancien, mais il est très difficile de faire cette lecture-là dans le domaine funéraire parce que hormis des exceptions en Bretagne ou dans l’ouest pour le Bronze ancien et le Bronze moyen, il y a très peu de mobilier dans les sépultures et en tous les cas pas de mobilier métallique. Cette absence est liée aux pratiques et non à la richesse. En revanche, au Bronze final, dans l’est de la France par exemple, apparaissent des sépultures très richement dotées qui nous permettent d’avoir une autre lecture de l’individu, de la communauté et des pratiques de manière générale, parce qu’on a plus d’information.

Mobilier en bronze mis au jour dans une sépulture de la nécropole du Petit Moulin (Migennes, Yonne) datée du Bronze moyen/Bronze final et fouillée en 2004.
Une partie de ce mobilier est ici identifiable avec au premier plan une lame de poignard et à l'arrière plan une épingle, une pince à épiler et deux bracelets.
© Loïc de Cargouët, Inrap
Ce qu’il nous faut surtout souligner et que nous n’avons pas encore évoqué pour les pratiques funéraires, c'est l’importance de la crémation. Elle est marginale au Néolithique et n’apparaît vraiment qu’à l’âge du Bronze. On lie souvent son apparition au travail du métal. On va utiliser le feu pour travailler le métal, mais aussi pour immortaliser d’une certaine manière le corps. La cérémonie semble avoir vraiment lieu au moment du bûcher funéraire, suivi de tout un processus de collecte et de dépôt des restes dans une urne, une sacoche ou autre, dans la terre. La crémation commence en France dès le Bronze ancien, et va progresser petit à petit pour se systématiser sur tout le territoire hexagonal au Bronze final et perdurer jusqu’au premier âge du Fer. Après l’âge du Fer, l’inhumation revient.

Détail d’un dépôt de crémation de l’âge du Bronze en pleine terre, vers 1400-1300 avant J.-C.
Burgweg Rechts, Eckwersheim (Bas-Rhin), 2010.
© Inrap
La crémation n'est-elle pas une limite à la connaissance de ces populations ?
Avec la crémation, on n’a plus de corps. On peut éventuellement déterminer l’âge de l’individu qui a été brûlé sur bûcher, mais on ne va que très rarement connaître le sexe. Cela pose aussi des problèmes pour identifier des élites, puisqu’on dépose rarement des bijoux en or et quand bien même portés par le défunt sur le bûcher, ces bijoux seraient transformés en gouttes. Au niveau anthropologique, l’approche est donc complètement différente. Le travail va plutôt se faire sur la façon dont on ramasse les restes sur le bûcher funéraire et sur ce que l’on dépose dans l’urne. Pour les crémations, les anthropologues vont travailler sur des poids.

Prélèvement d’une tombe à incinération du Bronze final de la nécropole de Chateau-Landon, en Seine-et-Marne, en 1997. Les vases funéraires et les ossements humains calcinés sont prélevés en bloc pour être fouillés en laboratoire.
© Loïc de Cargouët, Inrap
Disons qu’un corps produit autour de deux kilos d’os crémés et à partir de ce standard-là, on va étudier les poids des amas osseux, mais aussi quelles parties du squelette ont été ramassées et déposées dans l’urne. Par exemple, souvent le ramassage va privilégier le crâne. Pour certaines crémations, il y a plusieurs individus dans la même urne. Le travail va porter plus sur ces aspects que sur l’étude anthropologique physique proprement dite. C’est un peu désolant pour nous, car nous ne pouvons pas procéder à des analyses ADN ou isotopiques (sauf isotope du strontium qui est un indice de mobilité) sur les crémations. On ne peut le faire que sur les inhumations qui sont rarissimes. Dans ce cas, on est en mesure de déterminer le régime alimentaire d’un individu : la part de protéines, de céréales, de légumineuses, s’il y a un apport d’espèces marines dans l’alimentation, etc.

Tumulus du Bronze moyen de Veyre Monton. Sépulture au centre du cairn.
© Denis Gliksman, Inrap
Que sait-on de la spiritualité à l’âge du Bronze ? Est-ce un aspect qui est représenté dans l’exposition ?
C.M. : Des petites figurines représentant des oiseaux, des motifs en forme de soleil, sont récurrents à l’échelle de l’Europe. On retrouve ces symboles sur des types très variés de productions, et des représentations que l’on peut interpréter en termes de message, ainsi l’astre solaire traîné à différents moments par des chevaux, des cervidés et des oiseaux, le transport de l’astre solaire qui devient l’astre lunaire. Ces cycles se retrouvent sur des pictogrammes, sur des céramiques, sur des roches, sur des objets métalliques. Ils sont communs à des mythes européens qui visiblement prennent naissance à l’âge du Bronze. Il y a aussi souvent des personnages par trois qui sont représentés et qui se tiennent la main, qui rappellent encore certains mythes européens. Il y a aussi tout ce qui est jumeau, des personnages jumelés, des dépôts d’objets par deux, qui peuvent représenter la lune et le soleil tout simplement. Mais cela reste des hypothèses la plupart du temps.

Char solaire de Trundholm, découvert en 1902 près de Nykøbing au Danemark. Vers 1400 av. J.-C.
© National Museum of Denmark (Copenhagen)
R.P. : L’histoire des cycles est très importante. Le cycle solaire, les cycles des saisons, les trois âges de la vie. Il y a des dépôts qui montrent tout un habillement de parure féminine, des objets que l’on peut assimiler à une jeune femme ou à une femme plus âgée. Dans l’exposition, nous avons voulu montrer des hommes, des femmes, des enfants et la société, ce que l’on ne voit pas si souvent. Un aspect intéressant à ce titre est celui des crémations doubles. À la fin de l’âge du Bronze, les crémations d’enfants ne sont jamais retrouvées seules, l’enfant est toujours accompagné d’un adulte. C’est l’avantage de la crémation. Puisqu’il n’y a plus de pourrissement du corps, on peut garder des os et attendre de pouvoir accompagner l’enfant, par exemple.
Un autre aspect important de cette société, à la fin de l’âge du Bronze, est le festin que l’on observe sur certains sites privilégiés, à travers des dépôts de céramique, ou une quantité extraordinaire d’ossements de faune sur certains sites. Sur un site aristocratique que j’avais fouillé il y a quelques années, Ginette Auxiette, une archéozoologue de l’Inrap, avait estimé une consommation de plusieurs milliers de tonnes de viande.

Amas d'os scapulaires de porc mis au jour dans des fosses à Villiers-sur-Seine, site « le Gros Buisson » (Seine-et-Marne).
© Ginette Auxiette, Inrap
Les festins sont interprétés comme des événements probablement saisonniers qui ont rassemblé un nombre important de personnes. Ces festins servent à la fois à asseoir une hiérarchie, mais également à entretenir des relations économiques d’alliance, à commémorer un évènement ou un individu, etc. On pensait que le banquet était une invention du bassin méditerranéen au début de l’âge du Fer et on s’aperçoit qu’il est avéré dès l’âge du Bronze. Il fait partie de ces nombreuses innovations méconnues de la période.
C’est tout l’intérêt de cette saison âge du Bronze à l’Inrap et de cette exposition au musée d'Archéologie nationale à Saint-Germain-en-Laye : faire connaître la période à tout le monde pour l’enseigner un jour dans les écoles !
- Vous êtes membres du commissariat scientifique de l’exposition « Les Maîtres du feu » qui ouvrira ses portes le 13 juin 2025 au musée d'Archéologie nationale. Qu’avez-vous voulu montrer à travers cette saison et cette exposition ?
- La métallurgie n’existait-elle pas avant l’âge du Bronze ?
- Quelle est la recette du bronze ?
- Est-ce la même technologie que pour cuire la céramique ?
- Comment est-on informé alors sur la fabrication du bronze ?
- On n’échange que le métal ?
- Il y a des échanges, mais il n’y a pas de monnaie ?
- Comment cette nouvelle dynamique économique change-t-elle les sociétés ?
- Donc l’agriculture change beaucoup à l’âge du Bronze ?
- Comment ces nouvelles variétés entrent-elles en Europe ?
- Pour faire des routes, cela suppose une organisation et un certain pouvoir. Qui construit ces routes ?
- On parle d’un accroissement de l’insécurité…
- Si l’on parle des échanges, que sait-on des mouvements de population ?
- Sur le plan funéraire, qu’est-ce qui est caractéristique de l’âge du Bronze ?
- Le tumulus témoigne-t-il de la richesse d’un individu ou groupe d’individus ?
- La crémation n'est-elle pas une limite à la connaissance de ces populations ?
- Que sait-on de la spiritualité à l’âge du Bronze ? Est-ce un aspect qui est représenté dans l’exposition ?