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Lot 73, Terres Basses
Implantée sur le haut de plage de Baie Longue à l'emplacement d'un ancien cordon dunaire, la fouille du lot 73 fait suite à un diagnostic réalisé en 2012 où des traces d'occupations méso- et néoindiennes avaient été identifiées. Le site, dont l'emprise représente une superficie de 250 m², est localisé dans la partie occidentale de l'île de Saint-Martin (Guadeloupe).
Différentes occupations orientées sur l'exploitation de la faune marine occupaient l'arrière du cordon sableux. Une stratigraphie de 3 000 ans retrace sur l'île les pratiques culturelles de collecteurs de coquillages amérindiens.
Le site du lot 73 présente une séquence chronologique de plus de 3 000 ans qui illustre les changements de mode de vie durant la période précolombienne. La base de la séquence stratigraphique a révélé des niveaux mésoindiens, période durant laquelle des communautés nomades sillonnent les mers et vivent de la collecte de coquillages, de la pêche et de la cueillette. La fin de la séquence stratigraphique met en évidence des microsites satellites spécialisés du Néoindien, période où les populations sont devenues sédentaires et vivent rassemblées dans des villages. Elles maîtrisent la technologie de la céramique et l'agriculture et continuent à vivre de la collecte des coquillages et de la pêche. L'étude stratigraphique et chronologique du site permet de déterminer quatre principales phases d'occupation.
Le site du lot 73 en cours de fouille, Saint-Martin (Petites Antilles).
© Dominique Bonnissent, Inrap 2013.
Une aire de cuisson et de consommation de palourdes vue en coupe, site du lot 73 à Saint-Martin (Petites Antilles), phase 2, 1500-1160 av. J.-C.
© Dominique Bonnissent, Inrap, 2013.
Les premiers bivouacs mésoindiens de la phase 1 (1900 à 1650 av. J.-C.)
Le niveau de campement le plus ancien est constitué d'aires de cuisson et de consommation de palourdes, essentiellement l'espèce Codakia orbicularis. Ces bivalves étaient ouverts et cuits au contact de la chaleur dans des foyers puis leurs coquilles étaient rejetées autour de l'aire de cuisson après la consommation des mollusques. Les coquilles forment deux principaux amas associés à des charbons et des cendres. Quelques autres espèces de coquillages ont été exploitées dont Strombus gigas, le lambi, un gros gastéropode marin et des huîtres. Un dépôt anthropique de 19 petits galets blancs et calibrés, mesurant entre 4,50 et 7,50 cm, portant tous de petites perforations circulaires et un encroûtement carbonaté, indiquent qu'ils ont séjourné dans la mer. Il pourrait s'agir de galets de lest qui furent accrochés à un filet de pêche, abandonné avec ses poids. Cette première phase d'occupation est scellée par un dépôt sableux.
Les campements mésoindiens de la phase 2 (1500 à 1160 av. J.-C.)
Il s'agit de l'occupation la plus dense du site pour laquelle le niveau a été dégagé sur une superficie de 250 m². Il est composé d'une succession d'aires d'activités axées sur la cuisson et la consommation de palourdes. L'emprise des différentes aires de consommation et de rejets est délimitée par les concentrations de coquilles qui jouxtent systématiquement une aire de cuisson cendreuse et charbonneuse. Elles ne sont pas forcément toutes contemporaines comme l'indiquent les datations radiométriques. Si l'espèce phare est ici incontestablement la palourde, dont les sites de collecte devaient être proches, quelques autres espèces sont aussi exploitées comme les huîtres Pteria colymbus et Isognomon alatus, les strombes Strombus gigas et Strombus costatus et le burgo Cittarium pica. La faune vertébrée, très peu abondante, correspond essentiellement à des restes de poissons de récifs. Des fragments de carapaces de crustacés complètent le cortège des espèces fauniques exploitées dans les moyens de subsistance.
De petites concentrations de fragments de coquilles du grand gastéropode Srombus gigas, correspondent à déchets de débitage issus de la chaîne opératoire de la fabrication de lames sur coquille. Certaines lames ont été retrouvées dans des dépôts qui témoignent d'une pratique classique dans ce contexte où les communautés mésoindiennes enfouissaient des objets dans de petites fosses, des outils et de la matière première, vraisemblablement en vue d'une réutilisation.
L'industrie lithique est composée de nombreux galets avec ou sans trace d'utilisation, comme c'est traditionnellement le cas sur les campements mésoindiens. L'assemblage comporte également des enclumes ou des polissoirs et des éclats de diverses roches dont le silex, matière première qui a été importée car les gîtes sont absents de l'île de Saint-Martin. Le corail, généralement exploité pour ses qualités abrasives, a été ici très peu utilisé.
Si plusieurs fosses de combustion, identifiées grâce aux traces charbonneuses, apparaissent liées à la cuisson des mollusques, certains petits foyers ont eu vraisemblablement d'autres fonctions, domestiques ou techniques. Les remplissages de certaines fosses de combustion révèlent que des coquillages comme les strombes ont été exploités comme combustible, une des spécificités de ce site. Cet aspect indique peut-être une difficulté à s'approvisionner uniquement en bois.
La carte de répartition du mobilier montre dans la partie orientale du niveau d'occupation une zone pauvre en coquilles, centrée autour d'une fosse de combustion. Plusieurs facteurs peuvent être à l'origine de cet espace vide, soit un nettoyage de la zone autour du foyer en repoussant les coquilles sur les côtés soit des effets de parois induits par la présence de matières périssables ayant bloqué les rejets, ou les deux effets cumulés. Ces indices révèlent la présence d'aménagements sommaires réalisés lors des bivouacs. L'interprétation spatiale des aires de campements mésoindiennes est plus complexe qu'il n'y paraît car les bivouacs se superposent en partie les uns aux autres et il a été démontré que le principal facteur de remaniement est l'occupation humaine elle-même, mis à part les destructions provoquées par les marées de tempêtes. Cette deuxième phase d'occupation est également scellée par un épais dépôt sableux.
Des aires de débitage de coquilles de strombes durant la phase 3 (1060 et 870 av. J.-C.)
L'occupation est peu dense à cette période et axée sur l'exploitation des strombes. Une aire de cuisson de Srombus gigas a été dégagée aux côtés de quatre amas de débitage de coquilles de cette même espèce. Ces amas se présentent sous la forme de petits tas de coquilles fragmentées résultant de la fabrication de lames. Cette phase est isolée de la suivante par d'épais niveaux de sable stérile.
Les microsites de décoquillage de la phase 4 au Néoindien (880 et 1280 ap. J.-C.)
Les vestiges correspondent à trois aires de décoquillage de Srombus gigas, dont les coquilles toutes perforées et non fragmentées, sont retrouvées sous la forme de concentrations indépendantes. La perforation des coquilles de ces gros gastéropodes crée un appel d'air qui permet d'extraire l'animal accroché par succion. Des tessons de céramique correspondant à une jatte de facture très rudimentaire ont été retrouvés associés à l'aire de décoquillage la plus récente, datée par le radiocarbone entre 1170 et 1280 ap. J.-C. Les datations de ces trois microsites satellites spécialisés révèlent qu'ils pourraient être en relation avec les villages du Néoindien récent de Pointe du Canonnier et de Baie aux Prunes situés dans le même secteur sur la péninsule des Terres Basses. Les sites de décoquillage ont pour fonction l'extraction des mollusques de leurs encombrantes coquilles alors abandonnées sur place.
Plusieurs sites mésoindiens comparables au lot 73 sont connus sur l'île de Saint-Martin et autorisent les comparaisons. Ainsi, il apparaît systématique que ces campements côtiers sont installés dans la zone d'un biotope où abonde une espèce de malacofaune exploitable ; Srombus gigas à Baie Orientale 1, Arca zebra à Étang Rouge et Codakia orbicularis au lot 73.
- Les premiers bivouacs mésoindiens de la phase 1 (1900 à 1650 av. J.-C.)
- Les campements mésoindiens de la phase 2 (1500 à 1160 av. J.-C.)
- Des aires de débitage de coquilles de strombes durant la phase 3 (1060 et 870 av. J.-C.)
- Les microsites de décoquillage de la phase 4 au Néoindien (880 et 1280 ap. J.-C.)