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Occupations du sol en zone méditerranéenne, les apports du prisme lié aux diagnostics archéologiques. Quelques cas d’étude dans la plaine du Roussillon (Pyrénées-Orientales)
Ce deuxième séminaire scientifique et technique s’est tenu à Caen, à l'auditorium du château, les 28 et 29 septembre 2017. Il a été organisé par l'Inrap (David Flotté et Cyril Marcigny) avec le soutien du département du Calvados et de la Mairie de Caen.
Dans le département des Pyrénées-Orientales, des opérations de diagnostic menées sur de grandes surfaces apportent une vision contrastée aux schémas essentiellement construits à partir de prospections pédestres, voire même de fouilles. Elles permettent d’éclairer avec un regard particulier les problématiques liées à l’occupation des sols depuis le début du Néolithique.
Auteur et intervenant
- Jérôme Kotarba, ingénieur chargé de recherche, Inrap Méditerranée
Co-auteurs
- Laurent Bruxelles, chargé d'opération et de recherche, Inrap Méditerranée
- Céline Pallier, chargée d'opération et de recherche, Inrap Méditerranée
Cet éclairage repose sur des pleins et des vides. Il associe d’une part la compréhension du contexte physique de l’endroit, d’autre part la recherche des limites et le biais de lecture des vestiges, selon un gradient qui oscille entre « lecture bonne » et « lecture perdue » en passant par plusieurs niveaux pour « lecture tronquée ». Cette façon d’observer trouve un bon niveau d’expression dans les grands diagnostics du fait de leur caractère extensif. Elle peut également s’appliquer à des surfaces plus réduites voire celles des fouilles, en s’appuyant sur les approches précédentes. Lors de l’utilisation des données recueillies, l’introduction d’un niveau plus ou moins fort de relativité, apparaît avec des vides de lecture, dans les restitutions des dynamiques de peuplement sur ce territoire.
Les exemples pris sur les diagnostics des communes d’Ortaffa et de Trouillas, concernent des surfaces de quelques dizaines d’hectares. Leur particularité est de toucher des petites collines et le bord de cours d’eau adjacents, dans un contexte de dépôts sédimentaires pliocènes composés essentiellement de limon et de sable. La conduite de ces interventions s’attache à la fois à documenter l’histoire sédimentaire du secteur, mais aussi à replacer les vestiges des occupations humaines qui s’y trouvent, tout en qualifiant leur nature et leur état de conservation.
D’une manière générale, sur ces formations pliocènes assez « molles », le modelé hérité des périodes glaciaires comprend des collines et des creux. Ces terrains ont connu durant la partie ancienne de l’Holocène, une longue période de stabilité qui a occasionné la mise en place d’un épais niveau brunifié. Sa coloration et son épaisseur varient en fonction de la nature sédimentaire du niveau dans lequel il se développe. La mise en place de cet horizon brunifié sur de grandes zones géographiques, permet d’en faire un élément stable à rechercher et sur lequel appuyer le regard lors des ouvertures.
De manière pratique, sur le terrain, un premier niveau d’enregistrement des tranchées de diagnostic vise à connaître l’état de conservation de cet horizon brunifié. Dans les zones de collines, il s’agit en particulier de définir son degré de préservation, de voir quel niveau de sa racine est visible, ou de constater sa disparition totale. Dans les parties basses, plus propices aux recouvrements, c’est alors la profondeur de son enfouissement qui va être recherchée ainsi que les évènements qui l’expliquent.
Ce premier niveau permet rapidement de définir la potentialité d’observations de vestiges archéologiques, notamment à la base du labour actuel. En effet, le degré de dégradation de cet horizon entretient une relation directe avec l’état de conservation des vestiges archéologiques. Dans les zones où le terrain pliocène « d’origine » est décapé en fond de tranchée, cela signifie que l’horizon brunifié a été totalement érodé ou remué par les labours, et que les vestiges potentiellement présents correspondront à des excavations de grande profondeur. Un site peut alors avoir été complètement déblayé. Ces endroits correspondent souvent aux versants actuels des collines, en association avec des formations sédimentaires « plus molles ». Ailleurs, et notamment sur les parties hautes des collines, l’horizon brunifié va être retrouvé selon des états de conservation variables. C’est alors plusieurs repères sédimentaires qui vont être recherchés pour voir s’il s’agit de sa racine plus ou moins profonde, ou bien du niveau de surface lié à l’érosion glaciaire, voire des colluvions qui prennent place au-dessus. L’état de conservation des vestiges sera de mieux en mieux en allant de la racine profonde vers ces colluvions. En corollaire, la densité de vestiges va progresser avec le même gradient, et, plus intéressant encore, leur diversité selon un critère directement associé à la plus ou moins grande profondeur de chaque type d’artefacts. Dans le meilleur des cas, une zone occupée peut avoir conservée un peu d’élévation pour ses architectures, son sol d’occupation, les trous de poteaux, des foyers excavés ou pas, et bien sûr toutes les structures excavées associées à son fonctionnement. À l’inverse, plus les « coups de rabot » auront été forts, matérialisés sur le terrain par l’observation d’une racine de plus ou moins profonde de l’horizon brunifié « primitif », plus les structures vont se raréfier avec une sélection basée sur l’importance de l’excavation. Dans les cas ultimes de fonds de silos et de puits, l’interrogation sur ce qui manque est primordiale et peut devenir un des axes de la fouille.
Les incidences sur la restitution d’un schéma d’occupation et de son évolution sont multiples.
Parmi peut être les moins attendues, il peut y avoir la recherche de la période qui va déstabiliser l’équilibre initial. Dans les zones étudiées, les phases d’installation et de mise en culture depuis le début du Néolithique et au moins jusqu’au haut Moyen Age, paraissent se faire dans un environnement assez stable. À Ortaffa, ce pourrait être l’occupation forte du haut Moyen Age qui déstabilise l’ensemble. Une crise sédimentaire s’enregistre alors dans les zones basses, avec la mise en place progressive d’un épais recouvrement. Sur les buttes, l’arasement devient conséquent et semble effacer une partie des occupations développées. Cette phase érosive serait liée à la pression humaine qui devient plus forte, avec des défrichements et des mises en culture.
Autre observation singulière, dans les zones bien préservées, la lecture des vestiges archéologiques peut être plus difficile qu’ailleurs. Ces endroits, qui pour des raisons diverses ont conservé un équilibre sur la longue durée, vont parfois avoir vu plusieurs occupations successives qu’il faudra démêler. Ils vont également être de temps en temps affectés par le développement, lors de périodes proches de nous, de reprises de pédogenèse brunifiante. Cette dernière va avoir pour conséquence un certain « malaxage » des horizons antérieurs et des vestiges qu’ils peuvent contenir. L’homogénéisation de la couleur fait que ce sont alors les artefacts contenus dans les structures excavées qui rendent leur contour restituable. Pour la représentation des occupations anciennes, on conçoit bien que l’étude fine et méthodique de ces zones bien préservées est primordiale, même si elle revêt une complexité certaine. C’est cette pluralité que le diagnostic doit tendre à mettre en évidence.
La possibilité de les lire est un phénomène lié au taux d’arasement des reliefs ou à l’inverse de recouvrement. Les vestiges peu enfouis ne sont observables que dans des secteurs déterminés et assez étroits, alors que les silos et les fosses assez profonds ont des amplitudes de découverte en plan plus importantes. Enfin, les vestiges dans les zones à recouvrement sédimentaire sont souvent difficiles à détecter du fait d’une pédogenèse brunifiante qui malaxe les horizons, associés souvent à un pourcentage d’ouverture plus faible.
À Trouillas, la délimitation d’une zone haute conservant l’horizon de sol ancien et les traces de plusieurs occupations distinctes (Néolithique ancien, Néolithique moyen et du Bronze final) invite à s’interroger sur les vides alentours. Ces derniers se remarquent par la racine profonde de ce sol ancien. Le contraste est d’autant plus fort quand les fosses de divers usages et aussi les trous de poteaux de bâtiments sont préservés au premier endroit, et aux alentours, les vestiges sont uniquement des fonds de fosses ou foyers à pierres chauffées complètement démantelés dans le labour. Quelle surface d’occupation attribuer à une de ces périodes, autre que celle préservée et encore lisible ? Comment appréhender la surface perdue par chacune ?
Que dire, de la même façon, de zones occupées qui vont apparaître dans les bas de versant de ces collines sinon qu’il s’agit de lectures assujetties à la conservation plus ou moins bonne des horizons de sol sur lesquels elles se sont développées. On peut autant voir un point d’occupation qui prend place parmi d’autres déjà documentés, ou un endroit d’occupation préservé, comme d’autres, mais qui prend place au sein d’un ensemble où le taux d’effacement des alentours est à telle hauteur. On sent que l’introduction d’une relativité est nécessaire, même si c’est un concept difficile à manier car il doit prendre en compte les vides, mais qui ne sont pas obligatoirement des absences d’occupation mais plutôt des impossibilités de lecture.
De la même façon que la prospection pédestre en zone méditerranéenne a connu une évolution majeure au début des années 1990 avec le pointage précis sur plan des artefacts pour rendre perceptible des nuages de points variés symbolisant des natures différentes de mobilier, le rendu cartographique des diagnostics pourrait lui aussi évoluer. Dans les contextes sédimentaires dans lesquels nous travaillons, la mise en couleur des fonds de tranchée d’un diagnostic nous semble une première étape. Elle viserait à représenter l’état de conservation du sol ancien, selon une codification graduée à définir en fonction des particularités du terrain géologique, et son corolaire directement associé, celui de l’état de préservation ou de destruction des vestiges archéologiques. Cette représentation peut permettre de quantifier en surface l’importance des zones totalement dérasées, par rapport à celles qui le sont moins où le potentiel de lecture de vestiges est mieux établi, et aussi à celles où l’importance du recouvrement gêne les possibilités de lecture.
Références bibliographiques des rapports d’intervention
- KOTARBA (J.), DOMINGUEZ (C.), BRUXELLES (L.) collab., CASTELLVI (G.) collab., COMPS (J.-P.) collab., DONAT (R.) collab., FOREST (V.) collab., GIRESSE (P.) collab., JANDOT (C.) collab., LONGEPIERRE (S.) collab., MARTZLUFF (M.) collab., MELMOUX (P.-Y.) collab., POLLONI (A.) collab., RAUX (S.) collab., JOS (J.) collab., RUAS (M.-P.) collab. — Ortaffa, Pyrénées-Orientales, projets de parcs photovoltaïques « Colomina del Prat 1, 2 et 3 ». Approche diachronique d’un terroir en bordure de la dépression de Bages : rapport de diagnostic. Nîmes : Inrap Méditerranée, 3 volumes, 2012. 303 p., 209 p., 116 p., 23 planches hors-texte. URL : http://dolia.inrap.fr/flora/ark:/12345/0123518
- KOTARBA (J.), SNEED-VERFAILLIE (C.), TOLEDO I MUR (A.), BRUXELLES (L.) collab., JANDOT (C.) collab., MELMOUX (P.-Y. ) collab., POLLONI (A.) collab. — Trouillas, Mas Cantarana - Tranche 2, Occupation de la fin de l’âge du Bronze et atelier céramique du Bas Empire, près de la Cantarana : rapport de diagnostic. Nîmes : Inrap Méditerranée, 2014. 195 p. URL : http://dolia.inrap.fr/flora/ark:/12345/0136070
Références bibliographiques associées aux travaux de même nature en région toulousaine
- BRUXELLES (L.), ARRAMOND (J.-C.) — L'approche géomorphologique sur les terrasses de la Garonne en Midi toulousain. In : La géoarchéologie appliquée au diagnostic des sites du Néolithique à nos jours : actes du séminaire, Paris, 22-23 mai 2006. Paris : Inrap, 2008, p. 59-63. (Les cahiers de l’Inrap ; 2). URL : http://dolia.inrap.fr/flora/ark:/12345/0139922
- BRUXELLES (L.). — De la contribution à la synergie : une décennie de relations archéologues-géomorphologues à l’Inrap. In : Nouveaux champs de la recherche archéologique. Paris : Inrap, 2012, p. 21-25. (Archéopages, hors-série ; 2). URL : http://dolia.inrap.fr/flora/ark:/12345/0140606