À Exmes, Orne, le projet d'aménagement de la place du marché à Exmes a nécessité, en raison de la richesse du contexte archéologique (oppidum probable, site antique, centre historique...), la réalisation d'un diagnostic archéologique, sur 1 700 m², portant sur l'un des sites emblématiques de la région.

Dernière modification
26 mai 2016

Le bourg, implanté sur un éperon naturel encadré par les vallées de la Vie et de la Dives, a fait l'objet d'une abondante littérature érudite durant les XIXe et XXe siècles. De nombreux éléments relatifs à son histoire étaient ainsi connus (occupations multiples gauloise, antique et médiévale, rempart délimitant un oppidum, sépultures mérovingiennes...), mais de nombreuses zones d'ombre persistaient.

La réalisation d'un diagnostic archéologique sur l'ensemble de la place d'Exmes était donc une véritable opportunité permettant, pour la première fois, de lever les séquences stratigraphiques au centre du promontoire et de reconnaître les différentes occupations qui se sont succédé. 

L'examen des données stratigraphiques et du mobilier montre que les lieux ont connu une occupation importante à la fin de l'époque gauloise. Cette occupation ne paraît pas appartenir à un type classique d'habitat rural, mais présente certaines caractéristiques d'occupation possédant un statut particulier où les constructions (bâtiments en enfilades, rues ?), les armes défensives ou d'apparat et les activités artisanales semblent prendre le pas sur les travaux agricoles et domestiques. Le site semble par la suite perdre peu à peu de son importance durant le début de la période romaine, avec des activités peut-être plus spécialisées. Au cours des périodes postérieures, il paraît toujours fréquenté mais de façon plus sporadique.

Il faut rappeler qu'il ne s'agit ici que d'une opération de diagnostic et que les données obtenues, ainsi que le mobilier récolté, ne permettent de fournir qu'une image partielle du site. Les résultats doivent donc être modulés ou complétés en fonction d'éventuelles autres découvertes.

Nous avons toutefois essayé de dresser dans ces grandes lignes l'histoire de cette place, où est implantée l'église, des origines à nos jours :
- Paléolithique moyen : le seul éclat découvert trahit au moins un passage sur le site dont le silex, alors disponible en surface, a pu être exploité.
- âge du Bronze, une occupation de petite ampleur a été identifiée au sud de l'église actuelle. Il s'agit d'un petit habitat domestique comprenant probablement une zone bâtie. Le mobilier céramique et en bronze (poignard, épingle) évoque la fin de l'âge du Bronze ou le début de l'âge du Fer.
- La Tène D2a : les premiers éléments significatifs d'occupation datent de cette période. Les nombreux éléments céramiques ou monétaires ne semblent pas remonter avant le début du deuxième tiers du Ier siècle avant notre ère. On note la possibilité d'une occupation défensive dense (épée, talons de lances...) immédiatement antérieure à la conquête, peut-être en relation avec le rempart probablement daté de la même époque. Des bâtiments à sol empierré et tranchée de fondation sur sablière basse sont soupçonnés. Quelques monnaies gauloises coulées ou frappées sont présentes dans les niveaux correspondants. Les structures, interprétées comme des traces de bâtiments, sont orientées sud-ouest/nord-est, orientation qui restera dominante durant l'ensemble des phases d'occupation de la place et qui est celle de l'église actuelle.
- La Tène D2b-augustéen : cette occupation, aussi dense que précédemment, occupe au moins la moitié orientale de la place. L'habitat semble évoluer vers des bâtiments sur poteaux porteurs installés sur vide sanitaire. Les monnaies sont encore représentées par des exemplaires gaulois, bien que l'on note la présence timide d'une monnaie républicaine en contexte.
- Période augusto-claudienne : la place est densément occupée, bien que l'on ne puisse identifier clairement les structures bâties. Des bâtis en pierre sont toutefois soupçonnés (présence de nombreux moellons, de tuiles). Le mobilier est très abondant et a été prélevé dans des structures diverses. La présence de déchets de forge au nord-est de la place témoigne d'un lieu destiné à la métallurgie, plus particulièrement à la fabrication de chaudrons (nombreux fragments). Les monnaies découvertes comprennent encore quelques exemplaires gaulois concurrencés par des monnaies augustéennes (Lyon 1 et Lyon 2) et, dans une moindre mesure, tibériennes et claudiennes.
- IIe-IIIe siècle : le reste de la période romaine est représentée de façon beaucoup plus disparate sur la place, bouleversée par le cimetière paroissial. Les seules structures identifiées sont des fossés ou fondations qui suggèrent la présence de structures bâties. Un ou plusieurs bâtiments beaucoup plus massifs sont soupçonnés à partir de la succession de fondations à proximité immédiate de l'église et les nombreux éléments lapidaires découverts hors diagnostic au nord de la place (mausolée ?).
- IVe siècle : fondation possible d'une première église, au sud, sous la forme d'un petit bâtiment rectangulaire à abside à pans coupés.
- Fin du Ve-premier tiers du VIe siècle : premier état de l'église actuelle (?), second état de l'église sud (?) Dans les listes des conciles, deux évêques d'Hiémois sont en effet signalés, Litardus (en 511) et Passivus (en 533 et 538). En 541, Passivus est signalé comme évêque de Séez, ville qui conservera alors l'évêché.
- VIIe siècle : première tombe datée autour de la place, au nord de l'église actuelle.
- XIe-XIIe siècle : construction de l'église romane, dont il reste la nef, en décalage de 10° avec l'édifice antérieur.
- XIe-XVe siècle : le cimetière se développe davantage du côté nord de l'église romane. La petite église au sud est peut-être encore en élévation. Des cloches sont moulées autour de l'église, à la fin de la période.
- 1449 : les Anglais quittent Exmes en incendiant la ville.
- Fin du XVe siècle : construction du choeur gothique et creusement des fondations du transept nord, probablement interrompus au décès de Marguerite de Lorraine en 1521. Les transepts, jamais construits, sont bouchés par de simples murs, laissant apparaître le départ des arcades à l'extérieur et deux petites chapelles latérales. Des bas-côtés sont rebâtis avec des ouvertures ogivales simples.
- 1770 : abandon des inhumations autour de l'église paroissiale et établissement du cimetière actuel.
- XVIIIe-XIXe siècle : deux petits appendices sont accolés sur le mur sud de l'église (chapelle de la charité et sacristie). Des boutiques sont accolées au chevet de l'église. Elles sont détruites en 1902. Mention d'un calvaire sur la partie nord-est de la place, ainsi que d'un puits (bouché dans les années 1950).
- 1943-1944 : nombreux sondages de R. du Mesnil du Buisson autour de l'église et sur la place.

En guise de conclusion, on peut dire que le diagnostic réalisé en 2006 permet de répondre à plusieurs questions, en même temps qu'il en soulève d'autres. Les apports les plus importants concernent l'établissement d'une chronologie resserrée entre La Tène D2 et la période tibéro-claudienne, trahissant une occupation gauloise tardive de l'éperon. À partir de la période Claude-Néron, l'habitat semble se déplacer, peut-être en direction de la cité de Sées. Les vestiges du IIe et IIIe siècles de notre ère sont présents de manière diffuse sur l'ensemble de la place mais les niveaux correspondants sont entièrement bouleversés par l'installation du cimetière paroissial aux époques médiévales ou modernes. La période antique classique est toutefois représentée par de nombreux éléments lapidaires sculptés (dans une cave jouxtant la place) et par une probable fondation appartenant à un édifice monumental. Au sud de la place, deux édifices emboîtés semblent correspondre à des églises, datant peut-être de l'Antiquité tardive et du haut Moyen Âge. La découverte de ces deux édifices relance le débat sur l'existence possible d'un évêché à Exmes au début du VIe siècle. Concernant les fondations mises en évidence dans la tranchée la plus proche de l'église, nous n'avons fait que confirmer les observations de R. du Mesnil du Buisson sur la succession des fondations romane et gothique, ainsi que la découverte de deux phases antérieures, la première que R. du Mesnil attribue à un édifice du haut Moyen Âge, et la seconde identifiée à la suite du diagnostic comme un édifice monumental, éventuellement romain.

Si la surface interne de l'éperon d'Exmes semble être mieux connue, il reste maintenant à réaliser des sondages sur le rempart lui-même de manière à corréler les données chronologiques obtenues sur les diverses occupations et la construction puis l'entretien de cet ouvrage défensif.