À Bretteville-sur-Odon (Calvados), l'Inrap a exhumé les vestiges d’un vaste ensemble défensif allemand de la Seconde Guerre mondiale. Les structures, les matériaux employés et les techniques de construction nuancent l'image d'un mur de l'Atlantique réputé infranchissable. 

Dernière modification
15 juillet 2020

Une équipe de l'Inrap achève une fouille préventive à Bretteville-sur-Odon, menée dans le cadre de l’aménagement du Triangle des Crêtes par la société FONCIM. Prescrite par les services de l’État (Drac Normandie), l’opération a permis d’exhumer les vestiges d’un vaste ensemble défensif allemand de la Seconde Guerre mondiale, situé dans le périmètre défensif de l’aérodrome militaire de Carpiquet, pris par l’armée allemande puis devenu cible des bombardements alliés lors de la Libération.
L’étude du site de Bretteville-sur-Odon revêt un grand intérêt à la fois sur le plan patrimonial, en tant que vestiges de la zone arrière du mur de l’Atlantique, mais aussi sur les plans historique et archéologique, du fait de la destruction ordonnée par Hermann Goering des archives de la Luftwaffe à la fin du conflit.

Un point d'appui allemand (1941 - 1944)

Implanté au sud-ouest de Caen, à proximité de la base aérienne de Carpiquet, le site de Bretteville révèle un vaste ensemble fortifié mis en place par les troupes allemandes dès 1941. Rattaché à la Luftwaffe (armée de l'air allemande), ce site avait en charge la défense antiaérienne du secteur et la protection des installations stratégiques de Carpiquet. Il faisait partie d'un ensemble composé d'une vingtaine de sites d'importance variable qui ceinturait l'aérodrome. Très lacunaires, les archives militaires concernant Breteville nous apprennent seulement que le site avait pour nom de code Stützpunkt Bretteville (point d'appui Bretteville) et qu'il a été occupé successivement par différentes unités de la Flak (défense antiaérienne allemande). Il n'existe aucune source concernant l'aménagement du site et son fonctionnement. De plus, les informations concernant l'armement en place sont peu précises. Elles évoquent simplement la présence de canons antiaériens de 20 mm aux abords du retranchement sans localisation exacte.

Un site fortifié loin des standards du Mur de l'Atlantique

Bien que situé à plus de 15 km des côtes sableuses du Calvados, le site de Bretteville-sur-Odon faisait partie du mur de l'Atlantique, qui avait en charge la défense des côtes de l'Europe occidentale. Contrairement aux autres constructions du mur de l’Atlantique, les structures découvertes à Bretteville sont totalement dépourvues de béton armé. Les aménagements mis au jour s'écartent complètement des constructions standardisées. Les matériaux employés mais aussi les techniques de construction mises en œuvre viennent bousculer et nuancer l'image d'un Atlantikwall infranchissable vanté par la propagande nazie.

Deux zones se distinguent clairement au sein du site. La partie sud présente des abris enterrés maçonnés en pierre calcaire tandis que le pôle situé au nord se limite à des excavations aménagées directement dans le substrat, dépourvues de maçonnerie.

Vaisselle réglementaire de l’armée allemande estampillée avec l’aigle caractéristique de la Luftwaffe. Ce mobilier confirme l’identification de l’unité présente sur le site.

Vaisselle réglementaire de l’armée allemande estampillée avec l’aigle caractéristique de la Luftwaffe. Ce mobilier confirme l’identification de l’unité présente sur le site.

©

Benoît Labbey, Inrap

Autour de ces fosses, identifiées comme des unités de vie ou de stockage, des dépotoirs particulièrement riches en mobilier (lits, vaisselle, flacons, etc.) nous renseignent sur le quotidien de la garnison. Enfin, des aménagements périphériques plus modestes documentent la surveillance et l'armement de cet important site à vocation défensive.

Dans une fosse peu profonde, des restes de sommiers métalliques témoignent du quotidien de la garnison.

Dans une fosse peu profonde, des restes de sommiers métalliques témoignent du quotidien de la garnison.

©

Benoît Labbey, Inrap


La fouille préventive en cours offre pour la première fois l’opportunité d’appréhender l’organisation d'un site fortifié allemand dans sa globalité. Elle met en lumière le fonctionnement méconnu d'un des sites majeurs de la défense de la base de Carpiquet tout en dévoilant la vie quotidienne des soldats qui l'occupaient. Cet éclairage nouveau vient donc enrichir et renouveler notre perception de la plus vaste ligne de fortification jamais construite en Europe.

Les combats de juin - juillet 1944

La fouille a également mis au jour de plusieurs trous d'hommes attribuables aux troupes anglo-canadiennes. Ces structures récurrentes dans la plaine de Caen et aujourd'hui bien connues des archéologues suggèrent que le site a été occupé par les soldats canadiens juste après les combats pour la neutralisation du Stp. Bretteville. Ces abris excavés sommaires ont livré du mobilier guerrier discret mais révélateur : casques, éléments d'équipement et munitions tirées. Plusieurs structures ont également révélé des morceaux d'aluminium peints, pour certains très bien conservés. Ces fragments métalliques sont caractéristiques et font directement référence à l'aviation. Compte tenu du nombre de fragments et de leur localisation au sein de l'emprise de fouille, il est fort probable qu'un avion se soit abattu à proximité immédiate de la partie nord du site. Lors de la remise en culture des parcelles, ces éléments métalliques ont été enterrés tout autour du lieu du « crash ». Il conviendra maintenant d'identifier ces éléments pour savoir s'il s'agissait d'un appareil allié ou allemand.

Les traces des bombardements et les années de la Reconstruction

L'abandon du site par les soldats allemands au tout début du mois de juillet 1944 ne marque pas sa destruction. Les structures en creux restent visibles jusqu'en 1947 et ne disparaissent réellement qu'au tout début des années 1950 avec la remise en culture des parcelles.

La fouille a démontré qu'entre 1945 et 1950, le site de Bretteville a servi de dépotoir avant d'être définitivement nivelé. En plus d'avoir servi à éliminer les éléments de défense du point d'appui tels que les réseaux de barbelés et les piquets de clôture, les vastes abris excavés ont accueilli les déblais consécutifs aux bombardements de la ville de Caen et de sa périphérie. Des habitations entières mais aussi des commerces détruits par les raids alliés ont été évacués dans ces fosses à ciel ouvert avec tout leur mobilier. La vaisselle brisée et fondue se retrouve mêlée aux carcasses tordues de véhicules mais aussi aux enseignes publicitaires des commerces. Tous ces éléments, parfois émouvants, à l'image de cette horloge qui s'est arrêtée au moment du bombardement, viennent compléter et documenter les années qui suivirent la fin des combats et la Reconstruction qui s'en est suivie.

Aménagement : FONCIM
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Benoît Labbey, Inrap