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Un site néolithique majeur à Passel (Oise)
À Passel, des équipes de l’Inrap et du Conseil Départemental de l’Oise ont mis au jour et exploré sur sa plus grande partie une enceinte monumentale du Néolithique moyen II. Les études sur le mobilier, le plus riche connu à ce jour pour ce type de site, ouvrent de nouvelles perspectives sur la fonction économique et idéologique de cette enceinte monumentale, vraisemblablement à dimension supra-locale.
Un site néolithique majeur sous une déviation
Le projet de mise à 2x2 voies de la RD1032 entre Ribécourt et Noyon (Oise) par le Conseil Départemental de l’Oise a conduit l’État à prescrire une fouille archéologique à Passel sur une superficie de 6,7 hectares. La commune de Passel se situe dans le nord-est du département de l’Oise, à 4 km au sud de Noyon, sur la rive droite de la moyenne vallée de l’Oise. La fouille a été réalisée sous la direction scientifique de Nicolas Cayol et Mirco De Stefani (Inrap Hauts-de-France) en collaboration avec le service archéologique du Conseil Départemental de l’Oise, pendant deux périodes de 6 mois chacune, en 2013 et 2014. Outre un établissement laténien de faible ampleur et une briqueterie d’époque moderne, l’occupation la plus exceptionnelle est une enceinte du Néolithique moyen II remarquablement bien conservée. La palissade en bois préservée à la faveur du contexte humide a fait l’objet d’une étude poussée qui amène des résultats inédits et des datations extrêmement précises sur la mise en place de cette enceinte monumentale.
Vue générale du site en cours de fouille.
© Balloide Photo
Vue générale du site en cours de fouille.
© Balloide Photo
Vue générale du site en cours de fouille.
© Balloide Photo
Une enceinte aux confins de grands groupes culturels
L’enceinte néolithique de Passel est un exemple typique de ces sites de terre et de bois s’élevant dans une grande partie de l’Europe dans la seconde moitié du Ve et au cours du IVe millénaire. Celle-ci est implantée en contexte de fond de vallée, dans un espace délimité par la confluence de deux petits affluents de l’Oise. Le site, qui se trouve en limite des sphères culturelles du Chasséen septentrional et du Michelsberg, se révèle être un témoin précieux pour la compréhension des relations entre ces groupes.
Selon les sections, l’enceinte est délimitée par un à trois fossés discontinus doublés d’une puissante palissade interne formant un mur de poteaux. D’après les prospections géomagnétiques réalisées dans la parcelle voisine, l’ensemble ceinture un espace de 3,5 hectares environ. À l’intérieur de l’enceinte, plusieurs fosses et trous de poteaux non datés et sans organisation particulière, ont été fouillés. Ces quelques structures internes ne reflètent pas une occupation domestique très dense, ce qui peut paraître contradictoire avec la grande quantité de rejets retrouvés dans les fossés. On notera toutefois les quelques trous de poteaux près des interruptions de fossés qui pourraient constituer les vestiges de structures ou de systèmes d’entrée.
Une palissade monumentale
La tranchée palissadée a nécessité l’abattage et le transport d’un nombre important de troncs de chêne. L’humidité de l’environnement a permis la conservation exceptionnelle de 249 bases de poteau. Les demi-troncs, jointifs, peuvent atteindre 1,20 m de diamètre. De nombreuses traces d’outils ont été observées sur leurs surfaces, majoritairement sur leur base aplanie. La face fendue des troncs est systématiquement orientée vers l’espace interne de l’enceinte.
Vue de la tranchée palissadée en cours de fouille.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Vue de la tranchée palissadée en cours de fouille.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Vue de la base d’un poteau.
© Claire Cohen, Inrap / CD60
Cette découverte exceptionnelle a permis d’appréhender, par le biais d’une approche dendrotypologique de 152 poteaux, les modalités de construction de la palissade et de dater par dendrochronologie (étude des variations d'épaisseur des cernes des troncs d'arbres) l’abattage des bois sur une période très courte, quelque part entre les années 3895 et 3891 avant notre ère.
Détail des traces d’impacts d’outils utilisés pour aménager la base d’un poteau.
© Claire Cohen, Inrap / CD60
Les fosses : réceptacles à rejets et dépôts intentionnels
Les fossés sont composés de segments aux dimensions très variables. Certains peuvent atteindre 2,50 m de large pour plus d’un mètre de profondeur, d’autres sont moins imposants. Ces segments sont séparés par de courtes interruptions formant probablement des espaces de circulation. À l’instar d’autres enceintes, les nombreux recreusements et aménagements particuliers observés lors de la fouille de ces fossés semblent résulter de nombreux évènements étalés dans le temps. Ces derniers témoignent de la complexité de l’histoire de ces fossés. Néanmoins, l'absence de recoupement entre les séries de fossés et de palissades atteste un fonctionnement au moins partiellement contemporain de ces structures et donc un projet initial respecté.
Un segment de fossé en cours de fouille. Le fond est jonché de rejets archéologiques et de sédiments très organiques.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Ces fossés ont servi à la fois de dépotoirs et de réceptacles pour de nombreux dépôts à portée plus symbolique. Sur un peu moins de 390 m linéaires de fossés fouillés ont été retrouvés 411 kg de faune, 536 kg de céramique, 192 kg de silex, 1170 kg de grès et calcaire, de l’industrie osseuse, plusieurs éléments de parure et des objets en bois. De fortes concentrations, toutes catégories confondues, sont localisées fréquemment à proximité des principales interruptions, sauf en ce qui concerne le fossé externe qui reste relativement pauvre. Une grande partie du mobilier est concentrée dans des couches de rejets massifs situées pour la plupart au fond des fossés où elles s’étendent sur des longueurs parfois de plus de 10 m. La nature du mobilier et sa quantité dépassent de toute évidence le simple cadre domestique. Si les indices d’une occupation permanente n’ont pas été mis en exergue, les rejets traduisent bien une fréquentation régulière des lieux.
Détail des couches du fond d’un fossé jonché de rejets.
© Romain Barbé, Inrap / CD60
Un environnement boisé et humide
Les conditions de conservation exceptionnelles de la matière organique dans les fossés ont permis de réaliser plusieurs études paléoenvironnementales (anthracologie, carpologie, malacologie, palynologie, xylologie). La plupart des premiers résultats sont surprenants. Ils suggèrent que l’enceinte pouvait être en partie dissimulée dans la forêt, qui formait ainsi une barrière naturelle. Ce phénomène apparaît tout à fait paradoxal à proximité d’une construction aussi monumentale qu’une enceinte, dont on suppose une forte influence sur le milieu arboré. En outre, le caractère monumental de l’enceinte laisserait supposer la volonté que l’édifice soit vu de loin. De la même façon, le caractère humide de la zone d’implantation de l’enceinte est mis en exergue par les différentes études.
Exploration du paléochenal.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Les activités humaines qui y sont liées au site semblent avoir un impact très limité sur cet environnement. Les rejets liés à une activité agricole notamment sont particulièrement réduits, et se retrouvent pour l’essentiel au niveau des concentrations de matériel archéologique. Ces premiers résultats étayent ainsi la discussion sur le statut du site qui n’a assurément pas une importante vocation agricole.
Prélèvement de sédiment dans la tête d’un fossé.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Témoin des activités de subsistance et artisanales
La production céramique est très homogène d’un point de vue technique et typologique et nous incite à envisager une seule et même étape. La particularité de cette poterie est de mêler des vases en usage chez plusieurs groupes culturels voisins que sont le Chasséen septentrional (coupes carénées, vases supports, jarres à boutons), le Michelsberg (gobelet, bouteille et jarre) et le Néolithique Moyen Bourguignon. À l’intérieur des poteries, de nombreux résidus charbonneux ont été bien conservés du fait de la nature humide du milieu. Ces restes peu courants vont permettre, à l’aide d’analyses complémentaires, de collecter des données nouvelles sur l’utilisation de la céramique.
Dépôt en céramique.
© Mirco De Stéfani, Inrap / CD60
Les outils en silex et en grès ont majoritairement été taillés sur des blocs trouvés à proximité du site. Pour le silex, le support le plus employé est l’éclat, réalisé pour façonner des grattoirs, des éclats retouchés, des bords abattus, des flèches (majoritairement tranchantes) et quelques microdenticulés. Au sein de l’outillage sur lame, on trouve essentiellement des lames retouchées ou utilisées brutes et des lames à dos. Les haches polies font également partie de l’outillage commun. Les analyses tracéologiques soulignent surtout l’implication des outils dans le travail des matières animales et en tout premier lieu l’artisanat des peaux. En revanche, elles suggèrent aussi la faible implication de l’outillage en silex dans le travail des plates, notamment pour la récolte des plantes telles les céréales.
L’industrie macrolithique est principalement établie sur grès récolté à échelle locale. Elle comprend une très faible représentation des outils de mouture, contre une forte part d’outils de percussion (percuteurs, enclumes, etc.) et d’outils à plan de fracture émoussé. L’économie de Passel telle que perçue au travers des industries macrolithiques semble plus tournée vers les activités artisanales que de mouture.
Les ossements des animaux domestiques ou chassés ainsi que les bois de cerf ont servi de support pour le façonnage d’au moins 90 outils et produits finis. Les chutes, ébauches et supports de production montrent qu’une partie au moins de l’équipement était réalisé sur place.
Il s'agit de l'assemblage le plus riche, tant du point de vue quantitatif que qualitatif, connu à ce jour pour les enceintes du Néolithique moyen II.
La conservation remarquable, pour nos régions, d’objets et d’outils en bois (fragment d’arc, louche…) constitue un autre apport majeur de ce site. On décompte enfin des éléments de parure en fluorite, en céramique et en coquillage.
Masse perforée sur segment de merrain avec tampons de renfort.
© Stéphane Gaudefroy, Inrap
Arc.
© Romain Barbé, Inrap / CD60
Manche de hache.
© Claire Cohen, Inrap / CD60
Cheptel et gibier : exploitation des matières animales
Les restes osseux étudiés, très nombreux, proviennent essentiellement des segments de fossés de l’enceinte néolithique. La faune recueillie montre une prédominance de l’élevage, avec une large place accordée aux bovins et aux porcs auxquels s’ajoutent de rares caprinés. L’étude des âges d’abattage met en évidence une recherche prioritaire de la viande pour une consommation sur place en grande quantité. La proportion de faune sauvage est très faible. La chasse est orientée vers le sanglier, l’aurochs et le cerf et, dans une moindre mesure, le chevreuil et le petit gibier. D’autres espèces moins communes complètent cet ensemble avec la présence notable de quelques os de cheval, d’ours, de pigeon et de serpent. La présence, parmi les animaux chassés, de sanglier (espèce dominante), d’aurochs, de cerf, et d'ours de grand gabarit suggère des chasses à haut risque ciblant souvent les mâles adultes. La motivation de telles chasses sélectives pourrait être d'origine rituelle. En effet, la majorité de l'apport carné sur le site est assuré par l'élevage, la recherche de viande n'est donc pas la motivation première de la chasse. Un massacre entier de cerf planté sur un pieu renforce le caractère ostentatoire de la chasse au mâle pour cette espèce.
© Nicolas Cayol, Inrap / CD60
Les manifestations symboliques sont nombreuses, ostentatoires et diversifiées. Bucranes et chevilles osseuses de bovinés (aurochs et vaches/taureaux) sont mis en scène dans des dépôts en divers points stratégiques de l’enceinte. Porcs et chiens (plus ou moins en connexion anatomique), têtes de sangliers et de cerfs pourraient également être le témoignage indirect des sacrifices rituels à l’origine d’au moins une partie des dépôts. Le choix délibéré de mettre en valeur les attributs dangereux que sont les cornes des bovins sauvages et domestiques, ainsi que la bonne représentation des mâles et le fort gabarit de certains animaux (sangliers, cerfs et ours) permettent d’émettre l’hypothèse d’une certaine démonstration de force qui viendrait souligner le caractère monumental de l’architecture du site.
Dépôt avec bucranes et chevilles osseuses.
© Romain Barbé, Inrap / CD60
Malgré un bon état de conservation, les restes humains sont peu nombreux par rapport aux autres enceintes de l’Oise. Ils sont tous épars et, appartiennent à des sujets adultes. En l’état actuel des données on ne peut pas les considérer comme dépôt et même le caractère intentionnel de la présence de ces restes humains est hypothétique. Les restes les mieux représentés sont le bloc crânio-facial, les membres supérieurs et les membres inférieurs.
Une enceinte à dimension supra-locale ?
Cette enceinte monumentale, explorée sur une grande partie de son extension, avec l’abondance des vestiges qu’elle a livrée et leur remarquable conservation, constitue l’un des apports majeurs pour la définition du Néolithique moyen II régional. Ces nouvelles données permettent d'asseoir l'hypothèse d'une fonction à la fois économique et idéologique importante pour cette enceinte monumentale, vraisemblablement à dimension supra-locale. Ces résultats permettent de s’interroger sur l’exploitation et l’organisation d’un territoire, sur la signification des rejets et des dépôts présents dans les fossés, leur dimension ostentatoire, sur l’attribution culturelle et enfin plus généralement sur le statut de ce type de site.
Cette opération a livré plusieurs séries de référence pour le Néolithique moyen II et ce dans plusieurs domaines mobiliers, surtout céramique mais aussi pour des artefacts traditionnellement rares ou mal conservés dans ces contextes, comme la faune ou l’industrie sur matière dure animale et enfin pour des matériaux exceptionnels comme les artefacts organiques (bois, os, etc.). Ces séries s’insèrent en outre dans l’analyse des relations entre deux grands groupes culturels, le Chasséen et le Michelsberg, pour lesquels le site de Passel par son statut particulier possède un rôle qui doit l’être tout autant.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Hauts-de-France)
Recherche archéologique : Inrap, Conseil Départemental de l’Oise
Responsable scientifique : Nicolas Cayol, Inrap
Responsables de secteur : Mirco De Stefani, Inrap, Virginie Huyard (CD60) et Guillaume Lebrun (CD60)
- Un site néolithique majeur sous une déviation
- Une enceinte aux confins de grands groupes culturels
- Une palissade monumentale
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- Un environnement boisé et humide
- Témoin des activités de subsistance et artisanales
- Cheptel et gibier : exploitation des matières animales
- Une enceinte à dimension supra-locale ?