Au cœur de l’ancienne citadelle de Langres, l'Inrap a fouillé un vaste cimetière gallo-romain dont une emprise était réservée aux tout jeunes enfants, dépendant d'un autre régime funéraire que les adultes. Les archéologues ont également pu collecter de nouvelles informations sur les aménagements de la forteresse bastionnée construite à partir de 1842 à l'emplacement de la nécropole gallo-romaine. 

Dernière modification
30 avril 2021

Préalablement à l’aménagement de logements dans trois bâtiments militaires, aujourd’hui désaffectés et en cours de reconversion urbanistique, une fouille a été prescrite à l'emplacement du plus vaste des quatre cimetières gallo-romains connus à Langres. Traditionnellement appelé « nécropole du sud », près de la voie impériale de Lyon (Lugdunum) à Trèves (Augusta Treverorum) qui traverse Langres (Andemantunnum), ce cimetière se développe  de la citadelle à la zone industrielle de La Trincassaye, sur la commune limitrophe de Saints-Geosmes. La fouille archéologique révèle qu’une emprise de la nécropole antique de Langres était réservée aux très jeunes enfants.

Vue générale du chantier en cours de décapage.

Vue générale du chantier en cours de décapage.

© J.-J. Thévenard, Inrap


Mise au jour d’une emprise de « la nécropole du sud »

Quelques incinérations, des fosses charbonneuses avec dépôts d’esquilles osseuses et fragments de céramiques prélevés sur des bûchers funéraires et surtout quatorze sépultures de très jeunes enfants ont été découverts par l’équipe d’archéologues de l’Inrap. Il s’agit d’enfants morts autour du terme, mort-nés ou décédés à environ 1 mois de vie après la naissance. Cet ensemble funéraire, daté du Haut-Empire (Ier-IIe siècle de notre ère) est concentré sur 360 m² environ, soit un quadrilatère de 20 sur 18 mètres, dans l’emprise de la zone de fouille. Un muret en pierres sèches partitionnant l’espace matérialise la limite occidentale de cette partie de la nécropole.

Fouille manuelle de la zone funéraire avec, sur la gauche du cliché, le muret en pierres sèches marquant son extension vers l’ouest.

Fouille manuelle de la zone funéraire avec, sur la gauche du cliché, le muret en pierres sèches marquant son extension vers l’ouest.

© J.-J. Thévenard, Inrap

La moitié de ces inhumations de périnataux contenait une monnaie déposée en offrande, retrouvée sous le corps de l’enfant ou dans sa main. Dans l’une d’elles, les archéologues ont également découvert un balsamaire en verre, petit récipient permettant de contenir un parfum, et un biberon en terre cuite.

Au sein des nécropoles, les corps des jeunes enfants étaient souvent inhumés à l’écart du reste de la population. Ce phénomène concerne surtout les périnataux, mais dans certaines nécropoles des enfants un peu plus âgés, entre un et quatre ans, peuvent également être inhumés dans une zone spécifique. Leurs tombes sont placées dans un secteur particulier de la nécropole ou regroupées dans plusieurs zones, en limite d’emprise.  Cette nécropole qui associe inhumation et incinération illustre des pratiques funéraires connues pour cette période, qui dépendent de l’âge au décès: le tout petit est inhumé, l’adulte incinéré. Comme le dit Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle, « on ne brûle pas les enfants dont les dents n’ont pas percé ».

Évolution d’aménagements anciens lors de la création de la Citadelle

La fouille a également permis de révéler des anomalies ou reprises d’aménagements anciens lors de la création de l’importante citadelle de Langres. Les archéologues ont ainsi constaté la suppression, ou déviation, de l’ancienne route de Dijon qui avait repris le tracé de la voie antique Lyon -Trèves. Un système de drainage et de collecte des eaux pluviales a également été identifié tout comme le choix d’un aménagement par remblais pour construire la place d’armes…

Plan de la citadelle de Langres avec report de la zone de fouilles prescrite.

Plan de la citadelle de Langres avec report de la zone de fouilles prescrite.

© Ch. Wissemberg, www.atelier-cartographique.com, avec annotations de J.-J. Thévenard, Inrap

Construite à partir de 1842, cette forteresse est la « dernière citadelle française », l’ultime exemplaire de ces forteresses bastionnées construites depuis trois siècles à proximité immédiate des villes pour les protéger ou les contrôler. Bâtie à 600 mètres au sud de l’enceinte urbaine, la citadelle fut conçue pour barrer définitivement l’éperon de Langres. Elle devait donc pallier les carences défensives de cette dernière, dont les remparts furent entièrement repris et adaptés dans le même temps (1843-1856). Plusieurs fois modifié, le projet définitif lui assigna l’accueil d’un régiment d’infanterie, soit environ 3000 hommes, et une place de dépôt. L’enceinte urbaine et la citadelle, reliées entre elles par deux courtines délimitant un camp retranché, sont deux entités fermées et autonomes conçues « bastion contre bastion » et s’épaulant l’une l’autre en cas d’attaque ou prolongeant la résistance en cas de prise de l’une des deux forteresses.

Construites sur un terrain de 79 hectares d’emprise, les fortifications de la citadelle s’étirent sur près de trois kilomètres et occupent pour l’essentiel le site d’une nécropole gallo-romaine. Huit bastions à cavalier lui donnent une forme étoilée. Cette enceinte était précédée de fossés atteignant jusqu’à 25 mètres de largeur et 10 mètres de profondeur. Elle se verra précédée au sud de deux ouvrages avancés (lunettes) constituant les premières protections de la forteresse.


En cas de conflit, la place de Langres était destinée à rassembler et soutenir une armée manœuvrant en profondeur entre les Vosges et le Jura. Dans ce cas de figure, les réserves et munitions accumulées à l’intérieur de la citadelle devaient ravitailler 13 000 hommes et 1000 chevaux pendant six mois. En cas de revers aux frontières, elle pouvait devenir l’ultime point fortifié capable de ralentir la progression d’une armée ennemie ayant percé à Belfort et se dirigeant sur Paris.

Aménagement : Mon Logis
Contrôle scientifique : Service régional de l’Archéologie (Drac Grand-Est)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Jean-Jacques Thévenard, Inrap