Depuis 2013, les archéologues de l’Inrap mènent un ensemble d’études de bâti et de fouilles archéologiques documentant la construction et l’évolution d'une tour génoise isolée devenue le Fortin de Girolata, édifice militaire novateur commencé au milieu du XVIe siècle par le célèbre ingénieur génois Geronimo da Levanto.

Chronique de site
Dernière modification
20 juillet 2023

Réalisées sous le contrôle de l’État (DRAC Corse), les différentes opérations menées sur le fortin de Girolata s’inscrivent en amont du projet de restauration et de mise en valeur du bâtiment sous maîtrise d’ouvrage du Conservatoire du littoral et sous maîtrise d’œuvre du cabinet d’architecte d’ACMH 2BDM, grâce au plan exceptionnel d'investissements d’un budget total d’un million huit cent quarante mille euros dont 63% pris en charge par l'État, 17% par la Collectivité de Corse, et 20% par le Conservatoire du littoral et la Fondation du Patrimoine.

Un complexe militaire inédit dès sa conception

Pour restaurer et mettre en valeur le fortin de Girolata,  imposante construction militaire génoise, les archéologues de l’Inrap ont recouru dans un premier temps à une étude d'archéologie du bâti. Réalisant un décroûtage méthodique et raisonné de ses élévations, l’équipe sur le terrain en a analysé la stratigraphie à travers les fragiles successions de mortiers et d’enduits en place et les anomalies structurelles. Au terme de cet enregistrement minutieux, les archéologues ont pu restituer les différentes étapes de construction et de transformation de ce complexe militaire.

Face sud du fortin avec éperon barré par les fortifications MR22 et MR23, RFO HUSER 2014.

En corrélation avec les fouilles effectuées dans le sous-sol, les données recueillies rendent compte de deux phases majeures d’évolution du fortin ainsi que du caractère complètement innovant de chacune d’elles. La conception singulière initiale du site (1551) est dûe au célèbre ingénieur génois Geronimo da Levanto (dit Le Levantino). Elle met en scène une tour carrée d’esprit médiéval flanquée de son « ravellino », principe novateur en tant que bastion étoilé à trois branches. Décelée par l’étude, cette solution inédite dote la tour d'un double système de défense à partir de son terre-plein bastionné, officiant comme terrasse défensive.

Par ailleurs, l'étude a démontré que les enduits initiaux de la tour étaient contemporains de ceux trouvés sur l’éperon du promontoire, barré par une première enceinte transversale. Le chemin de ronde mis au jour le long de ce mur d'enceinte indique un dispositif défensif rectangulaire, fermé par une muraille parallèle à la fortification. L’investigation archéologique a permis de dresser précisément la configuration de ce premier édifice avec la découverte de la porte initiale de la tour carrée. Celle-ci est logée sur la face protégée de la tour, dans ce qui était à l'origine l’un des plis de sa terrasse couverte et défendue par des meurtrières en batterie avec échauguette (petite loge construite en encorbellement et destinée à abriter un guetteur). Une structure défensive inédite pour cette tour qui accueille en son fond une citerne, une cuisine à l’étage et une chambre au second, terminée par une terrasse d’artillerie bordée de mâchicoulis.

Un fortin sur le modèle d’une petite citadelle

Les différents sondages réalisés au sein du fortin permettent de documenter la seconde phase de construction. Ils révèlent le choix d’intervenir sur la face opposée de la tour par un important remblaiement de la zone en rattrapage de la pente naturelle du socle rocheux dans le but de créer une nouvelle ligne de fortification bastionnée. Celle-ci va enserrer une vaste cour avec petite chapelle et four à chaux, introduite par une barbacane sur l’ancien accès et  terminée par deux bastions avec échauguettes. Ce nouvel aménagement, attesté par les textes et daté du début du XVIIe siècle (1610), est dû à Anton Giovanni Sarrola, personnage important dans l’échiquier génois et ancien militaire devenu architecte. Il achève ainsi la nouvelle conception militaire du fortin sur le modèle d’une petite citadelle.

Un cordon de tours 

Étudié dans sa densité stratigraphique et spatiale de tour isolée devenue fortin, l’édifice doit être replacé dans son contexte historique. Le complexe défensif mis en oeuvre à partir de 1551 par Le Levantino répond à la demande de la Compere di San Giorgio (banque de Saint-Georges) - société financière créée en 1407 pour favoriser et développer l’activité commerciale et maritime de la République de Gênes. L’édification d’une première tour vise à protéger le Golfe de Porto des invasions barbaresques et de la piraterie. Elle s’inscrit dans un cadre de surveillance plus vaste de quatre-vingt-dix tours dites « tours génoises », progressivement disposées (à partir de 1530) sur l’ensemble du littoral Corse et plus largement sur celui de ses territoires maritimes. La protection de l'île s’avère alors nécessaire car elle occupe une position stratégique dans le nouvel échiquier méditerranéen. L'entretien de ces tours posera d’éternels soucis, conduisant à leur ruine, mais les techniques alors expérimentées et venant d’Italie sont novatrices (ravelin, terre-plein bastionné, bastion). Elles seront utilisées avec brio par Vauban à la fin du XVIIe siècle. 

Vue aérienne du fortin de Girolata avant les fouilles.

Vue aérienne du fortin de Girolata avant les fouilles.

© A. Gauthier

Aménagement : Conservatoire du littoral
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac de Corse)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Astrid Huser, Inrap